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Cyrille Taillandier

 

Je n’ai pas trop eu l’occasion de le dire jusqu’à maintenant mais Lenny Kravitz fait partie de mes artistes favoris. Il me tardait donc de l’exprimer ici, d’autant que j’ai eu un véritable coup de cœur pour la chanson « Dream » lors de la parution de son album « Black & White America ». Rencontre avec Cyrille Taillandier, l’ingénieur du son de cette chanson mystique pour tenter de la décrypter. Merci à lui !

Tout d’abord, comment est venue cette passion d’ingénieur du son au point d’en faire votre métier ?

Enfant, j’ai toujours eu un intérêt pour la technologie, et en premier lieu, pour l’aérospatiale et les avions. Je réfléchissais à la façon de construire des avions, des hélicoptères et toutes sortes d’objets volants. Je m’intéressais aussi à la plongée sous-marine, ce qui fait que mes parents ont toujours dit que j’étais soit dans l’espace, soit sous la mer mais pas vraiment sur la terre.

Mes parents, eux, ont toujours aimé la musique et nous en écoutions beaucoup et tout le temps. Nous avions aussi quelques instruments à la maison : des guitares, des claviers… et j’ai découvert que la technologie jouait un rôle dans l’enregistrement de la musique. Mon frère possédait quelques disques vinyl et à l’époque, il y avait des grandes photos à l’intérieur, pas comme dans les CD, et j’ai dû y voir quelques photos de studios d’enregistrement. Cela m’a intrigué et j’ai commencé à m’amuser un peu avec des synthés et des boites à rythmes, et à programmer des morceaux avec quelques copains. J’ai eu la chance de trouver un studio au sud de Paris, Chauve-Souris, et je les ai appelé pour demander à assister à des sessions, et ils ont accepté. Le gars m’a seulement dit : « Assieds-toi dans un coin et ne dis rien. Si les gens ont besoin d’aide pour déplacer quelque chose, donne-leur un coup de main. Tu peux aussi faire du café, ce genre de choses. »

C’est comme ça que tout a commencé : j’ai eu la possibilité d’observer des sessions d’enregistrement et j’ai adoré voir la manière dont les gens enregistraient et mixaient. C’est là que j’ai décidé de poursuivre dans cette voie. A cette époque, j’avais un petit enregistreur 4-pistes de chez Yamaha et j’ai commencé à enregistrer des démos chez moi. J’ai transformé un placard en cabine acoustique et j’ai travaillé avec quelques groupes, mais pas tant que ça. Je me souviens avoir enregistré du heavy metal en essayant de capter le son de la batterie avec un seul micro : pas si facile que ça !

Ensuite, je suis entré à l’ESRA (Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle) de Paris pour y suivre une formation d’ingénieur du son, et ce qui était formidable, c’est que nous devions faire des stages. Je savais que je voulais aller dans un grand studio donc j’ai commencé mes recherches très tôt et il y avait l’embarras du choix à l’époque à Paris (c’était l’année 1991 ou 1992). J’ai trouvé un stage au Studio Davout, un grand studio d’enregistrement avec trois salles équipées en SSL (Solid State Logic) et ça a été génial parce qu’une fois encore, j’ai eu la possibilité de prendre part immédiatement à l’enregistrement et de voir comment ça fonctionnait dans un grand studio. J’ai aussi eu la chance qu’ils embauchent des assistants ingénieurs freelance, donc j’ai gardé le contact jusqu’à ce que j’obtienne mon diplôme, et dès le lendemain, je travaillais pour eux comme assistant ingénieur. En tant qu’indépendants, on pouvait bosser pour d’autres studios, même si ce n’était pas la règle, mais c’est comme ça que j’ai pu travailler pour quatre studios différents en France. Ils possédaient tous des consoles SSL et j’ai eu accès à la nouvelle console SSL 9000 J de l’époque. J’ai commencé à travailler avec de nombreux artistes français et internationaux, et ce qui était formidable, c’est que des ingénieurs du son britanniques et américains venaient sur ces sessions. Comme mon niveau d’anglais était plutôt bon, on me mettait sur ces sessions-là et j’ai donc collaboré avec des gens supers !

Vous êtes reconnu dans le métier comme un spécialiste du logiciel Pro Tools. Pourriez-vous expliquer à un néophyte comme moi en quoi cela consiste ?

Pro Tools est une station audio-numérique. Quand j’ai commencé, les gens l’appelaient aussi « direct au disque », ce qui signifie qu’au lieu d’enregistrer sur un magnétophone à bandes magnétiques, on pouvait enregistrer directement sur un disque dur. Pro Tools présente le gros avantage d’être un système non-destructif de montage, c’est à dire que quand on monte des pistes audio, on coupe et on déplace des choses, mais on ne détruit rien du matériel originel comme on le ferait avec des bandes magnétiques. A l’origine, le montage consistait littéralement à couper les bandes et à les recoller avec du scotch en espérant que ça marche ! De nos jours, avec le digital, tout se fait sur ordinateur sans rien effacer et avec une précision et une facilité inégalables. En plus, on a un retour visuel, on peut voir l’image des ondes audio ce qui permet d’identifier les parties du son qu’on veut monter.

J’ai commencé à utiliser Pro Tools au Studio Davout il y a de nombreuses années : ça devait être une version 3 ou 4, sachant qu’aujourd’hui, on doit en être à la version 12. Vous savez, je suis entré dans l’industrie de la musique au moment où l’utilisation des stations audio-numériques se développait, mais quand j’ai commencé à utiliser Pro Tools, c’est un outil qu’on louait de manière occasionnelle car on travaillait encore principalement sur bandes magnétiques. Certains se sont rapidement spécialisés pour devenir des ingénieurs Pro Tools et possédaient donc leur propre système qu’ils amenaient en studio. Moi, je m’y suis réellement mis quand je suis parti pour New York et que j’ai travaillé avec Tony Maserati qui est l’un des plus grands ingénieurs du son au monde, à mon avis. J’ai eu la très grande chance d’être son assistant de mixage donc je gérais les sessions Pro Tools, je faisais tous les montages nécessaires et je préparais le mixage pour lui, ainsi que les recalls que nous faisons encore à l’époque. Avec lui, j’ai pu travailler dans les plus grands studios de New York.

J’utilise toujours Pro Tools et ça reste le système audio-numérique sur lequel je préfère travailler.

Vous avez l’opportunité de travailler pour des artistes français et internationaux très tôt dans votre carrière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai démarré ma carrière comme assistant ingénieur à Paris tout d’abord, puis dans le sud de la France. Le point fort de ces studios, c’est qu’ils attiraient généralement davantage d’artistes internationaux que ceux de Paris pour des questions de météo ! J’ai donc également collaboré avec des producteurs et des ingénieurs du son du monde entier et c’est comme ça que j’ai commencé à développer mes contacts professionnels à l’international.

Il y a aussi deux raisons pour lesquelles je suis parti m’installer aux Etats-Unis. Premièrement, j’avais travaillé avec quelques ingénieurs du son américains à Paris et j’avais vraiment apprécié leur façon de faire : leur style, leur attitude, leur façon de faire sonner les choses… Tout cela me fascinait et en tant qu’assistant, j’ai rencontré quelques producteurs avec lesquels je suis devenu ami, donc j’avais des contacts à New York que j’ai gardés au fil des années. Puis, j’ai participé à un disque pour un groupe français de Toulouse, Zebda, avec lequel j’ai travaillé dans le sud de la France mais aussi voyagé à New York pour la finalisation de leur album « Essence Ordinaire ». Je n’étais pas embauché pour bosser mais j’ai pris des congés pour aller à New York et passer du temps avec eux et leur producteur Nick Sansano. Et j’ai adoré New York ! La ville, le studio… Je me suis dit : « Peut-être que je pourrais essayer de m’installer ici ? » et c’est ce que j’ai fait environ un an plus tard, vers 1998-1999.

L’autre chose qui m’a poussé à partir à New York est liée au fait que, lorsque j’étais au Studio Davout, les Rolling Stones sont venus pour quelques sessions mais je n’ai pas été pris comme assistant. Pourtant, cela faisait deux ans que je participais à toutes les sessions internationales sans aucun problème, mais là, ils ont mis un assistant plus expérimenté encore. Je me suis alors senti limité dans mon évolution et je me suis dit de nouveau : « Peut-être qu’il n’y a rien de plus pour moi ici et que je devrais aller à New York et voir ce que je peux faire. » Et puisque j’aimais vraiment la musique, les gens et la ville, je suis parti ! Et heureusement que j’avais gardé contact avec les producteurs et les ingénieurs du son que j’avais connus en France car ils m’ont beaucoup aidé : à trouver un logement, un boulot et toutes sortes de choses pratiques. Les gens le disent souvent mais c’est vrai : tout est affaire de relations. On ne sait jamais ce qu’un boulot ou une rencontre apportera au final, mais c’est bien ce qu’il s’est passé pour moi. J’ai pu tenter ma chance car j’étais célibataire, sans enfant ni famille à peser dans la décision : j’étais libre ! J’ai eu le job avec Tony Maserati par l’intermédiaire d’un autre ingénieur, Rich Travali, avec lequel j’avais collaboré sur l’album de Passi, « Les Tentations ». En m’installant à New York, plus précisément à Brooklyn, j’ai pu travailler avec beaucoup plus d’artistes américains, évidemment.

Votre première collaboration avec Lenny Kravitz est l’album « Baptism » de 2004 où vous êtes l’assistant d’Henry Hirsch. Comment avez-vous été contacté pour ce projet ? Quelles ont été vos impressions au sujet de cet artiste, par rapport à votre discographie et collaborations antérieures ?

De nouveau, c’est par relations, et cette fois avec Rich Travali, que tout est arrivé. C’est grâce à lui que nous nous parlons aujourd’hui car il m’a donné ma chance ! J’étais son assistant sur le mixage de l’album de Passi, donc, et on avait passé un super moment. Quand je suis arrivé à New York, il m’a présenté à Tony Maserati qui cherchait un assistant de mixage et quelqu’un qui savait se servir de Pro Tools, et c’est comme ça que j’ai été embauché ! C’est au même moment que j’ai commencé à travailler de plus en plus en indépendant et Rich m’a appelé et m’a mis en contact avec Henry Hirsch qui travaillait avec Lenny Kravitz. Henry cherchait un deuxième ingénieur du son qui connaitrait aussi très bien Pro Tools, et j’ai été recommandé par Rich. J’ai rencontré Henry Hirsch pour la première fois au Studio Edison, qui n’existe plus de nos jours : il se trouvait à l’intérieur de l’Hôtel Edison, à Time Square. Il m’a fait passer un entretien et m’a montré les installations, puis quelques jours plus tard, nous avons pris un peu de temps pour faire une session d’essai. Il voulait tester mes connaissances sur Pro Tools et sur les studios d’enregistrement en général, pour s’assurer que je pourrais rapidement commencer à travailler avec lui et Lenny. J’ai réussi le test et on a commencé le travail sur le disque. Au total, j’ai travaillé sur trois disques avec Lenny en faisant de plus en plus le travail de l’ingénieur du son. En effet, pour certaines sessions, Henry n’avait pas envie de se déplacer à Los Angeles, à Miami ou à Paris, bien sûr… et moi, j’étais prêt à voyager et à participer à des sessions n’importe où.

Et puis, je pense que Lenny s’est senti à l’aise avec moi. Ma collaboration avec lui représente l’une des meilleures périodes de ma vie et l’une des meilleures expériences de ma carrière ! Grâce à sa musique que j’adore. Grâce à ses formidables talents de musicien, chanteur et producteur. Et aussi grâce au matériel que j’ai pu utiliser avec Henry et Lenny qui aiment les instruments et équipements du siècle dernier, mais aussi ceux qui donnent les meilleurs résultats. J’ai donc eu de la chance encore une fois de travailler avec du très bon matériel et d’excellents musiciens comme Craig Ross qui joue de la guitare avec Lenny depuis longtemps. J’ai beaucoup appris avec eux. Les années précédentes, j’avais travaillé au quotidien avec Tony Maserati donc j’avais reçu une très bonne éducation pour mes oreilles et une excellente formation qui m’a vraiment aidé dans mon travail avec Lenny ensuite. Tout au long de ces années, notre relation professionnelle a été très chouette car nous étions à un niveau élevé de talent, de musicalité et de pression, également. J’ai aussi travaillé avec des artistes que Lenny produisait ou avec lesquels il collaborait, ce qui m’a permis de me retrouver en studio avec Jay-Z ou Lionel Richie… Avec Henry, nous avons aussi participé à d’autres projets, par exemple avec Rob Thomas du groupe Matchbox 20 ou Steven Tyler d’Aerosmith : c’était génial ! Maintenant que j’enseigne, ce que j’essaie de faire comprendre à mes étudiants, c’est que le travail que vous accomplissez avec des musiciens est le même, qu’ils soient des stars internationales ou des gars de votre quartier. On ne s’en rend pas forcément compte sur le coup mais au bout de quelques années, on commence à comprendre qu’il faut traiter chacun avec respect et que c’est comme ça que tout le monde passera un bon moment à partager la même passion pour la musique et le bon son.

Craig Ross, par exemple, est un type formidable, très détendu et sympa. C’était vraiment incroyable pour moi d’être en studio avec ces gens-là : je m’asseyais à quelques mètres d’eux et je les regardais jouer, je les écoutais créer une chanson. Une autre expérience amusante fut le Superbowl car nous devions enregistrer la partie instrumentale de la chanson par sécurité. Donc, on a enregistré un medley de « Are You Gonna Go My Way » et me voilà dans la cabine d’enregistrement, assis à côté de Lenny et Craig qui jouaient les riffs de ce morceau que je connais depuis que je suis gosse. Là, vous vous pincez, vous pensez être en train de rêver tellement vous n’y croyez pas ! Ça se passe sous vos yeux et ça sonne exactement comme le disque que vous écoutez depuis des années : magique ! C’est la partie « rêve éveillé » du boulot de producteur ou d’ingénieur du son. On a la chair de poule quand on assiste à la magie de la création. Quand c’est un nouvel album, on l’entend avant tout le monde et parfois, on sait que telle chanson va être un tube. Très souvent, on ne le devine pas, mais quelquefois, on le sent et on conserve ces souvenirs pour toujours !

J’ai beaucoup apprécié l’album « Black & White America » mais je reste surtout fasciné par la chanson « Dream ». Pouvez-vous nous en raconter la genèse et l’enregistrement ?

Au départ, la chanson « Dream » n’a pas été enregistrée pour cet album. A l’époque, j’habitais à Ithaca dans l’Etat de New York, et un jour j’ai reçu un coup de fil de Lenny me demandant de venir à Paris pour quelques jours : il s’agissait d’enregistrer une chanson pour la bande-originale d’un film. J’étais libre donc on m’a envoyé un billet d’avion, ma femme m’a conduit au petit aéroport d’Ithaca où j’ai pris un vol pour Philadelphie puis un autre pour Paris. Lenny s’était acheté une maison à Paris, un hôtel particulier à côté d’une ambassade. Il n’y avait pas encore installé de studio donc j’avais amené un ordinateur portable, une petite interface audio et nous avions quelques micros. Nous avons commencé par la partie instrumentale au piano : Lenny avait un piano Kawai transparent, tout en Plexiglas, il me semble, au pied de l’escalier. Nous étions donc dans une grande maison avec un escalier en marbre et j’ai tiré profit de cette configuration en plaçant deux micros près du piano et deux autres à l’étage pour en capter l’ambiance sonore. Ainsi, il n’y avait aucune réverbération artificielle, seulement celle de la maison. Je disposais aussi de quelques préamplificateurs de micro très particuliers fabriqués par la marque Millennia. Les micros sur le piano étaient des Neumann U67 et les micros d’ambiance des KM 84 de Neumann également. Lenny voulait doubler les parties vocales, ajouter de la basse et d’autres éléments, mais à l’époque, le logiciel que j’utilisais sur l’ordinateur portable que j’avais amené, c’était Logic 7 ou 8, et je bataillais pour créer de nouvelles pistes. Je ne comprenais pas pourquoi ça ne fonctionnait pas car j’avais l’habitude de Pro Tools, que je ne pouvais pas installer sur cet ordi. Alors, nous avons dû louer un studio pour finir la chanson.

Heureusement, un ami à moi possédait un studio, Audiolane, situé aux portes de Paris et qui disposait de Pro Tools et de toutes sortes de très bons outils. Nous avons emprunté une basse Fender Precision des années 60 à un guitariste français assez connu, Slim Pezin. Nous sommes entrés en studio et nous avons travaillé toute la nuit : il y a une photo prise par Bruce (Cherbit) au petit matin quand on quitte le studio sur laquelle on a tous l’air bien fatigué. Je me souviens avoir appelé mon ami Jacques Obadia pour qu’il vienne en soutien sur la session. C’est un grand ingénieur du son et il fait aussi des voix-off. Il a très gentiment accepté de venir et nous avons fait cette session ensemble, seulement Jacques, Lenny et moi. Nous avons enregistré la basse et les parties vocales. Lenny possède un très bon micro Neumann U47 qu’il utilise habituellement pour enregistrer ses parties vocales mais il ne l’avait pas avec lui. Par chance, Bruce venait de faire réaliser un clone ou une copie de ce micro que nous avons donc pu utiliser et ça sonnait vraiment bien. Nous avons aussi enregistrer quelques cordes au synthé cette nuit-là à l’aide du logiciel disponible dans le studio, mais j’ai oublié lequel. ET c’est tout !

Puis, Lenny a présenté la chanson au réalisateur du film mais elle n’a pas été choisie. Quelques semaines plus tard, nous avons commencé à travailler sur l’album « (It Is Time for a) Love Revolution ». Nous avons refait les arrangements de cordes de la chanson « Dream » à Paris chez Lenny. Il y a un grand salon où nous avons installé les musiciens, et j’ai de nouveau utilisé l’escalier pour la réverbération du son. J’ai ré-amplifié les cordes sur de très bonnes enceintes Bang & Olufsen que possédait Lenny, puis j’ai capté l’ambiance sonore dans l’escalier pour l’ajouter aux cordes. C’est ce qui leur donne cette atmosphère particulière. Tout a été mixé sur Pro Tools et c’est ce qu’on entend sur le disque. Lenny et Henry travaillent depuis des années d’une manière très intéressante qui consiste à utiliser ce qu’on appelle des « stéréo-stems », c’est à dire des pré-mix d’instruments. En général, ça se fait plutôt au moment du mixage mais on peut aussi le faire pendant l’enregistrement, et c’est comme ça que nous avons procédé pour cette chanson : en essayant de donner au son de chaque instrument la forme qu’il aura sur le mixage final et ainsi, de le construire jusqu’au dernier « overdub ».

C’était super d’enregistrer cette chanson et je suis sûr que Lenny a été déçu qu’elle ne soit pas choisie pour le film. Mais finalement, il l’a gardée et utilisée pour cet album.

Cette chanson a quelque chose de particulier, avec une ambiance à la fois intimiste et mystique. Dans votre rôle d’ingénieur du son, quelles instructions avez-vous suivies pour obtenir un tel résultat ?

Je ne suis pas certain que Lenny m’ait donné des instructions à proprement parler. Nous avons véritablement construit le morceau cette nuit-là après avoir élaboré la chanson chez lui. Mais je pense que l’atmosphère intimiste vient de l’enregistrement dans la maison au pied du grand escalier. Lenny a fait deux ou trois prises au piano, sans chanter, et c’est là-dessus que nous avons construit la chanson. J’imagine que le fait d’avoir travailler en comité restreint y est aussi pour quelque chose : je rappelle qu’il n’y avait que Lenny, Jacques et moi présents en studio et que c’est nous qui avons enregistré la basse et les nappes de synthé, tandis que Lenny a fait les parties vocales et les choeurs aussi.

La section de cordes n’était pas très développée donc il me semble que trois musiciens ont doublé leurs parties et ils ont travaillé « sur le tas » avec Lenny, rien n’était écrit à l’avance. Tout ceci était vraiment instantané et intimiste, par conséquent. Ils produisaient ensemble des lignes de cordes et ils les jouaient, tout simplement. Encore une fois, les cordes ont également été enregistrées dans la maison donc cette acoustique est gravée dans le disque. Je me demande même si je n’aurais pas utiliser la réverbération de l’escalier pour la voix : je ne suis pas certain à 100% de ne pas avoir utilisé un module ou quelque chose. Donc, oui, je pense que la façon dont ce morceau a été enregistré à jouer un rôle pour obtenir cette ambiance.

On imaginerait très bien ce titre comme un rappel de concert sous forme de piano-voix. Est-ce que vous ressentiez vous-même cette émotion lors de l’enregistrement ou bien c’est l’aspect technique et la concentration qui s’imposent dans ces cas-là ?

Comme nous avons démarré l’enregistrement par le piano, il s’agissait plus pour moi d’être concentré sur la technique au départ, pour capter le son de la meilleure façon possible. Mais nous avons tenu compte de l’ambiance, c’est pour ça que j’ai pris le temps d’installer des micros dans l’escalier. On aimait réagir à ce que nous entendions, et à la manière dont ce piano sonnait dans l’escalier, et ça a laissé une forte empreinte sur le son de la chanson.

Mais j’imagine que l’émotion était davantage du côté de la partie vocale. On l’a enregistré tard dans la nuit ou très tôt le matin, c’est selon. Lenny est un très bon chanteur, ce qui aide, et sur cette chanson, il ne chante pas très fort car ce qui est important, c’est le vibrato et la respiration. Je ne me souviens pas qu’on ait fait beaucoup de prises non plus. Je n’ai plus les archives de la session, et je le regrette, mais je n’ai pas souvenir de difficultés concernant le chant. Il s’agissait surtout d’obtenir un joli rendu.

Mais l’émotion passe aussi par le piano. J’en ai eu des frissons également…

Au final, quelle place tient votre collaboration avec Lenny Kravitz dans votre discographie ?

Elle est sur la plus haute marche du podium !!

Quelle est votre actualité musicale aujourd’hui ?

Mon activité musicale s’est grandement réduite depuis que j’enseigne à plein temps. Je participe à moins de sessions mais je réalise davantage de mixage. Je travaille avec un groupe qui joue un mélange de funk et de hip-hop donc je fais des mix pour eux dans mon studio perso. J’ai aussi la chance d’être resté en contact avec Angélique Kidjo, une grande chanteuse, et j’ai fait quelques sessions avec elle et son mari et producteur, Jean Hebrail, aux Etats-Unis et à Paris. Cela fait deux ou trois ans que je n’ai pas mixé pour elle, cependant, et j’espère retravailler avec eux. J’ai toujours rêvé d’enregistrer un duo d’Angélique et Lenny.

J’enseigne à l’Université de Drexel et je dirige un projet d’enregistrement au niveau local, avec la création d’ateliers et d’un studio pour que les gens du quartier puissent enregistrer et mixer leurs propres chansons, poèmes et autres histoires. Je suis donc pas mal occupé, d’autant plus que j’ai des enfants en bas âge, donc je voyage moins pour le travail que pour les loisirs.

www.cyrilletaillandier.com

BRICE NAJAR
FRANCE

Né à Annecy en 1979, il est l'auteur de quatre ouvrages liés à l'univers musical de Michael Jackson. "Itinéraire d’un passionné" et "The Jacksons : Musicographie 1976-1989" sont parus en 2013 et 2014. Chacun de ces deux livres, bien qu'indépendant, est donc le complément idéal de l'autre. Pour son projet suivant, Brice reste dans cette même thématique musicale mais dans un concept différent. "Let's Make HIStory", paru en 2016, est un recueil d'entretiens avec des protagonistes du double album "HIStory" de 1995. En 2020, l’auteur complète son sujet avec un nouvel ouvrage intitulé "Book On The Dance Floor". Une façon de décrypter le travail en studio du Roi de la Pop.

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