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Dan Beck

 

En 2016, j’ai eu le plaisir d’assister à la Kingvention à Londres où j’ai rencontré Dan Beck, un proche collaborateur du Roi de la Pop en tant que Directeur du service Marketing et Vente chez Sony Music dans les années 90. C’est ainsi que je l’ai récemment contacté pour une demande d’interview au sujet de cet autre aspect de l’univers Jackson. Un grand merci à lui d’avoir accepté de m’accorder son temps et sa confiance.

Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de votre parcours qui vous a mené à cette fonction de Directeur du Marketing chez Epic Records de 1974 à 1997 ?

Il m’a fallu de nombreuses années de travail pour gravir les échelons. J’ai d’abord été journaliste spécialisé dans l’industrie du disque avant de rejoindre CBS records (qui deviendrait plus tard Sony Music) en tant que publicitaire en 1974. Par la suite, je suis devenu chef de produit : pendant des années, mon travail a consisté à coordonner les sorties et à gérer les plans marketing pour des dizaines d’artistes à succès tels que Luther Vandross, Cyndi Lauper, The Clash, Sade, Gloria Estefan, Pearl Jam et tant d’autres. Je formais également d’autres chefs de produit. Notre département gérait aussi la production de vidéo-clips. Je ne suis devenu directeur du marketing qu’au début des années 90, donc ce fut un long processus.

Pouvez-vous nous raconter de quelle manière vous avez commencé à collaborer avec Michael Jackson ?

J’avais initialement travaillé avec lui dans les années 1975-76, lorsque les Jacksons avaient signé chez Epic où j’étais chef de publicité. Nous avons tout d’abord fait ce qu’il fallait pour que Michael se sente à l’aise au sein de son nouveau label. Je l’ai emmené au zoo de Washington et la même semaine, nous avons assisté au diner du Black Caucus avec tous les membres des Jacksons. Nous avons engagé Steve Manning pour gérer les relations entre Michael et Epic, et il en a eu l’air vraiment ravi. Il est devenu très amis avec Susan Blond, qui devait me remplacer en 1977 lorsque je suis parti pour entrer dans le domaine du management des artistes. Je suis ensuite revenu au service marketing d’Epic en 1979, en tant que chef de produit.

L’album Dangerous marque le début des années 90 ainsi que le fait de continuer l’aventure sans Quincy Jones. Est-ce que c’était facile de réaliser du marketing avec un artiste qui avait battu tous les records dans les années 80, ou bien était-ce difficile de rester à un tel niveau ?

Après le succès sans précédent de « Thriller », il y a eu une réaction négative de la part de certains médias envers « Bad » car 5 millions d’albums « seulement » avaient été vendus aux Etats-Unis la première année. Il me semble que Michael lui-même avait été assez déçu des chiffres de vente également. Il y avait donc beaucoup de pression entourant la sortie de « Dangerous » dont on espérait qu’il se vendrait au moins aussi bien que « Bad ». J’étais devenu chef de produit seulement quelques semaines auparavant donc c’était une course effrénée pour moi. Michael ne me connaissait pas vraiment car de nombreuses années avaient passé depuis notre première rencontre plutôt brève. Heureusement, Larry Stessel, qui avait été le chef de produit de Michael, avait fait du très bon boulot en mettant tout en place avant de quitter Epic. Cependant, la plus grosse difficulté, c’était que les médias avaient commencé à déplacer leur attention sur des sujets de type « presse à scandale » et non plus musicaux. Les histoires du caisson à oxygène et du squelette d’Elephant Man prenaient de plus en plus d’ampleur. Mais pour nous, à sa maison de disques, l’objectif était de vendre sa musique, donc il fallait maintenir l’attention du public sur sa musique.

La promotion de l’album « Dangerous », c’est aussi une campagne marketing assez riche dont la mi-temps du Superbowl et l’interview en direct avec Oprah Winfrey. Comment est venu ce choix de se faire moins rare dans les médias ? Avez-vous souvenir d’échanges avec Michael pour élaborer cette campagne ?

Nous avons vivement conseillé à Michael et à son manager, Sandy Gallin, de ne pas mordre à l’hameçon des médias et de leurs articles superflus. Je suis sûr que c’était dur pour Michael, d’autant plus que certains d’entre eux s’en prenaient à lui. C’était bien avant tout ce qu’on peut voir aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Michael était quasiment la seule superstar à devoir affronter les attaques extrêmes que subissent les célébrités de nos jours. Dave Glew, le Président d’Epic, Polly Anthony, le chef de promotion, et moi-même ne ménagions pas nos efforts pour maintenir l’attention sur la musique pour contrer toutes les diversions. Nous étions constamment à la recherche d’opportunités pour mettre en lumière sa musique et ses talents de « performer » uniquement.

Le projet « Dangerous, The Short Films » est sans doute la vidéo la plus satisfaisante en terme de contenus pour les fans car il y a de nombreux making of et d’images d’archives en supplément des clips. Pouvez-vous nous raconter l’élaboration de ce projet, ainsi que vos discussions avec Michael pour le réaliser ?

Le « Making of Thriller » avait été un énorme succès en vidéo, et il avait été réalisé sans l’implication d’Epic. Par la suite, l’absence d’une vidéo du même type pour « Bad » avait été, à mon avis, une grosse occasion manquée. Malgré le fait qu’il était trop tard pour sortir une vidéo coïncidant avec la sortie de « Dangerous », je savais que nous avions de quoi faire un super film, visuellement et musicalement. Je pensais aussi qu’il était possible de tout monter en quelques semaines de façon à intégrer ça dans notre campagne marketing pour l’album. Lorsque j’en ai parlé à Michael au cours de notre première réunion pour le lancement de l’album, il s’est montré très enthousiaste. Je pense que c’est quelque chose qui nous a vraiment rapproché, lui et moi. C’est à ce moment-là qu’il a compris que je cherchais des moyens d’optimiser et d’étendre sa musique et son image publique. Je lui ai rapidement expliqué comment nous pourrions mettre la vidéo sur pied en peu de temps, à l’aide de notes sur les extraits à inclure. Il a adoré mes idées et a immédiatement évoqué 3 ou 4 choses qui seraient super à rajouter en promettant de me les transmettre au plus vite. Dans les 24 heures suivantes, j’ai engagé Propaganda Films pour finaliser le projet. Michael a immédiatement transmis tous les extraits auxquels il pensait à notre équipe de montage. En quelques jours, nous avions 99% du contenu disponible. Pourtant, il nous a fallu environ 14 mois de montage pour que Michael soit satisfait ! Lui, moi, et les monteurs / producteurs ont passé des heures et des heures chaque semaine pendant plus d’un an à travailler pour boucler le projet. C’était exaspérant, par moments ! C’est ainsi que j’ai compris à quel point Michael était perfectionniste !

Michael réalise ensuite son album le plus autobiographique, « HIStory », après avoir subi une terrible épreuve. Lorsque vous passiez le voir en studio durant l’élaboration du projet, est-ce que vous ressentiez le fait que ce serait un album particulier ?

Au départ, l’idée était de faire un best of « classique » : dix tubes, plus deux nouvelles chansons qui sortiraient en singles pour lancer les ventes. Dave Glew et moi-même avons rendu visite à Michael en studio à Los Angeles, et il avait cinq chansons en cours d’enregistrement qu’il aimait vraiment beaucoup et qu’il souhaitait inclure dans le « best of ». Déjà que je me demandais comment on allait faire tenir ses plus gros tubes sur un seul disque ! Dave était extrêmement impatient que l’album soit prêt, car la facture était vraiment élevée pour Epic et Sony. Le plus tôt serait donc le mieux ! Finalement, Dave a cédé à l’idée d’un double album.

Comment est venu le concept de la statue ? Avec le recul, n’est-ce pas là la campagne publicitaire la plus incroyable de votre carrière ?

Une fois que Michael est tombé amoureux du concept de « HIStory », il ne l’a plus lâché. Mon idée de départ pour la pochette était un montage de divers éléments emblématiques de sa carrière : les chaussettes blanches et les mocassins, des paroles de chansons écrites de sa main, le gant blanc etc… Cependant, le concept que Michael avait en tête était très différent.

Pour répondre à la seconde partie de la question, oui, ce fut la campagne publicitaire la plus complète, énorme, et quasiment menée de façon militaire que j’ai jamais supervisée.

Vous êtes crédité dans le livret de l’album comme celui qui a eu l’idée de son titre. Pouvez-vous nous raconter cette anecdote ?

J’étais au téléphone avec Sandy Gallin, et dans la continuité de nos efforts pour que le disque sorte enfin, je lui ai demandé si Michael avait une idée de titre pour l’album. Il m’a répondu par la négative. Je lui ai alors suggéré de consulter Michael à ce sujet. Sandy m’a dit : « Pourquoi est-ce que vous ne proposeriez pas quelque chose ? » J’étais plutôt pris au dépourvu et j’ai lui ai dit qu’à mon avis, c’était tellement personnel comme choix comme nous devions le laisser à Michael. Il m’a rappelé le lendemain en disant que Michael n’avait pas de titre en tête et que nous (Epic, donc) devrions travailler dessus. J’ai soumis la suggestion à Dave et Polly. Avec un brin de mélancolie, Polly a lancé : « Si seulement il pouvait trouver quelque chose d’aussi cool que Madonna avec « Immaculate Collection ». » Ce soir-là, dans le train qui me ramenait chez moi, j’ai eu l’idée de « HIStory » en cherchant un jeu de mots. J’avais travaillé avec Cyndi Lauper qui, elle, avait utilisé l’idée « herstory ». Dans le cas de Michael, le best of correspondait à son histoire (temporelle) et le nouvel album était sa réponse à toutes les polémiques, c’est à dire son histoire (personnelle). J’ai simplement assemblé les deux aspects.

Parler de la promotion d’HIStory, c’est forcément évoquer le teaser tourné à Budapest. Pouvez-vous nous parler de l’élaboration de ce projet en concertation avec Michael ? Pensez-vous qu’il a été incompris et que cela n’a pas aidé la promotion de l’album ?

Tout a été imaginé par Michael lui-même, en lien avec son idée de pochette. Et puis, il adorait la musique classique. Chez Epic, nous n’étions pas très emballés car nous trouvions que le teaser ne suscitait pas la curiosité pour ses nouveaux morceaux, et nous pensions qu’il risquait de recevoir beaucoup de critiques négatives dans les médias qui trouveraient qu’il en faisait trop. Pourtant, Sony, qui voulait que l’album sorte au plus vite, était prêt à lui donner tout ce qu’il voulait. La couverture médiatique a compliqué la sortie mais nous avons tenu bon.

Lors de la parution d’HIStory, comment s’est fait le choix des singles ?

Je ne pense pas qu’il y ait eu le moindre doute sur le fait que la chanson « Scream », le duo avec Janet, sorte en tant que premier single. Rien que l’idée qu’ils soient réunis pour chanter ensemble était géniale ! De plus, la chanson était uptempo et passerait immédiatement sur tous types de radios. Pour le second single, « You Are Not Alone » fut un choix évident pour son côté plus doux : notre département de musiques urbaines y adhérait totalement. C’était le coup parfait en deux temps.

Avez-vous des anecdotes à nous faire partager lorsque vous lui rendiez visite sur les tournages de clips ?

J’allais souvent sur les tournages pour certaines vidéos importantes et à gros budgets de nos artistes. Ce n’était jamais dans le but d’interférer avec la production, mais pour m’assurer que l’artiste était satisfait et pour gérer d’éventuels problèmes relationnels ou autres avec la boîte de production et le réalisateur. « Scream » représentait un énorme budget et c’est pour ça que j’y étais ainsi que notre expert en production vidéo, Scott Spangich. Le tournage a duré 11 jours et a eu lieu dans les studios Universal de Burbank.

On sait que Michael Jackson n’aimait pas trop les tournées. Est-ce qu’il a fallu négocier pour qu’il entame le HIStory Tour ?

La tournée HIStory était vraiment une priorité internationale. Je pense que les polémiques dans les médias américains ont influencé Michael et son équipe à ne rien changer au programme. Les seules réticences de Michael, à mon avis, concernaient peut-être le fait de s’assurer que le spectacle soit le meilleur possible mais aussi d’être prêt à tenir rythme qu’une telle tournée lui imposerait.

Pour le choix de sa set-list pour le HIStory Tour, est-ce que la maison de disques avait son mot à dire pour imposer un minimum de nouvelles chansons de l’album à promouvoir ?

Encore une fois, il fallait tenir compte de tous les pays que la tournée traverserait, mais bien sûr, nous avons encouragé l’idée que les nouvelles chansons de l’album soient bien présentes dans le spectacle.

Entre un artiste comme Michael Jackson qui réalise sa musique et une maison de disques qui, en tant qu’entreprise, se doit de faire des bénéfices, il y a toujours un risque de désaccords. Est-ce que c’était également votre rôle d’aller à sa rencontre pour un maximum de dialogue ?

Nous avons eu de très nombreuses réunions concernant les médias et le marketing. Michael et moi avons constamment échangé par téléphone pendant les 6 mois précédents la sortie de l’album (en semaine, le weekend et très souvent au beau milieu de la nuit). La plupart de ces réunions étaient excitantes et positives. Les réactions négatives dans les médias lors de la sortie de l’album nous ont valu d’intenses réunions avec Michael, Sandy Gallin, Jim Morey et les principaux responsables de chez Epic. Mais c’était toujours dans le but de trouver les bonnes solutions pour Michael. Il y a eu des débats, mais essentiellement pour savoir comment gérer ces problèmes externes. C’était des moments difficiles pour Michael et pour nous tous également. C’était parfois pénible mais nous affrontions cette épreuve tous ensemble.

Lors de votre départ d’Epic Records, aviez-vous pu l’annoncer personnellement à MJ et êtes-vous resté en contact avec lui ensuite ?

Michael venait juste d’entamer la tournée HIStory quand j’ai prévenu Epic que je lançais la maison de disques V2 Records pour Richard Branson en Amérique du Nord. Michael était totalement absorbé par son travail au niveau international et sur la tournée, donc nous n’avons pas eu de contacts au sujet de mon départ. Par la suite, la vie de Michael est devenue très compliquée et je n’ai pas jugé qu’il était approprié d’essayer de me rapprocher de lui au milieu des épreuves qu’il traversait. Je sais à quel point la vie des superstars est exigeante : j’ai travaillé à son service, j’ai eu de la peine pour tous ses problèmes, mais je n’ai jamais pensé qu’il devait se remettre en relation avec moi. Un an ou deux après avoir quitté V2, l’image de Michael était tellement soumise à d’énormes difficultés que j’ai contacté une fois John Branca pour proposer mon aide. John m’a répondu presqu’immédiatement, en me demandant ce que j’avais en tête. Mais alors, j’ai réalisé que si je m’impliquais de nouveau, ce serait forcément 24h sur 24 et 7 jours sur 7. La carrière de Michael était dévorante et il était impossible de s’impliquer sans être totalement absorbé. J’ai compris que je n’étais tout simplement pas capable de retrouver dans ce brasier.

Dans toute votre carrière, que représente votre collaboration avec Michael Jackson ?

Travailler avec Michael a été quelque chose de tout à fait incomparable. J’ai travaillé avec de nombreuses superstars, mais les circonstances entourant sa carrière étaient vraiment énormes et très compliquées. Les gens doivent savoir qu’une carrière aussi gargantuesque laisse des traces pour tout le monde. J’aimais vraiment beaucoup Michael et j’ai adoré travailler avec lui car il était très facile à vivre dans le travail. C’était un collaborateur tellement généreux et enthousiaste. Il saluait toujours le travail des autres. Cependant, les pressions extérieures sur sa vie et sa carrière étaient souvent très difficiles à supporter. Je suis si heureux qu’il ait eu des enfants pour lui apporter du bonheur dans les dernières années de sa vie. Au final, il me semble que ses enfants étaient ce qui comptait le plus pour lui et qu’ils furent son salut sur cette terre.

www.danbeckwrites.com

BRICE NAJAR
FRANCE

Né à Annecy en 1979, il est l'auteur de quatre ouvrages liés à l'univers musical de Michael Jackson. "Itinéraire d’un passionné" et "The Jacksons : Musicographie 1976-1989" sont parus en 2013 et 2014. Chacun de ces deux livres, bien qu'indépendant, est donc le complément idéal de l'autre. Pour son projet suivant, Brice reste dans cette même thématique musicale mais dans un concept différent. "Let's Make HIStory", paru en 2016, est un recueil d'entretiens avec des protagonistes du double album "HIStory" de 1995. En 2020, l’auteur complète son sujet avec un nouvel ouvrage intitulé "Book On The Dance Floor". Une façon de décrypter le travail en studio du Roi de la Pop.

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