Samedi 8 novembre 2014
Ma passion pour Michael Jackson se vit par le fait de vouloir aller à la rencontre de ses collaborateurs, comme si je voulais faire une sorte d’enquête pour tenter de décrypter son art et la philosophie de ses travaux. Le principal intéressé n’étant plus là, j’ai conscience que ces témoignages sont précieux et je ne veux pas en perdre une miette pour rassasier un appétit qui est toujours là après toutes ces années.
Cette dernière métaphore est idéale, car c’est par un brunch le matin que débute mon aventure au SAE Institute pour ce Live With The Swediens organisé par l’association Music First. Un moment de convivialité et d’échanges avec les organisateurs et les autres conviés du jour, dont l’importance pour apprécier cette journée n’est pas à minimiser. Je n’avais pas vraiment eu le temps vivre un tel instant, à mon grand regret, l’année précédente pour la venue de Brad Sundberg, ce qui me permet d’apprécier ce moment à sa juste valeur.
Notre groupe finit cependant par se diviser, mais c’est pour la bonne cause. Le nombre des convives est scindé en deux pour profiter d’une écoute (d’une playlist concoctée par Bruce Swedien lui-même) dans un véritable studio d’enregistrement. C’est ma première expérience dans ce domaine, et elle est à la hauteur de mes attentes. L’équipe de Music First nous remet alors un fascicule avec le programme à venir qui se compose de deux parties distinctes : la première est une playlist qui retrace une sélection des travaux de l’ingénieur du son allant des débuts en 1954 à l’album Back On The Block de Quincy Jones, paru en 1989. Le tout est bien entendu dans un ordre chronologique afin de démontrer cette évolution musicale qui a débuté par le jazz avant un virage amorcé vers un son plus Rhythm & Blues durant les 70’s, guidé en partie par cette complicité avec son ami Q. C’est également un moyen de comprendre que le son de Bruce ne se limite pas au Roi de la Pop, et que c’est une figure incontournable pour tous les grands techniciens de tous les styles musicaux.
D’une façon plus personnelle, je perçois ces premières écoutes comme une belle leçon d’histoire qui me permet de faire de belles découvertes pour les réécouter chez moi, même si le son ne sera pas d’aussi bonne qualité, ce qui classe cet instant comme un moment unique et à part.
Il est temps de passer à la seconde partie liée à la discographie de « Smelly », et c’est donc une source d’informations de connaitre les préférences de « Svensk » (j’aime mentionner les surnoms donnés par Quincy…!) en ce domaine. Bien évidemment, elle n’est pas exhaustive d’autant que l’équipe de Music First nous a expliqué que Bruce devait se limiter à une heure maximum.
Quelqu’un qui n’a pas vécu cette écoute en studio pourrait se dire que le fait d’entendre des chansons maintes fois entendues n’a aucun intérêt. C’est loin d’être le cas car je vis l’instant comme une totale redécouverte ! A titre d’exemple frappant, je citerais « Whatever Happens » dont je n’avais pas apprécié à sa juste valeur la guitare acoustique de Carlos Santana. D’ailleurs, Bruce évoquera ce musicien durant la visioconférence de l’après-midi, estimant que le son de son instrument était trop volumineux durant les prises, et expliquant au passage que la musique ne doit pas être écoutée trop forte.
Ce parallèle avec cette écoute du matin et les propos de l’après-midi ne se limite pas seulement au titre issu d’Invincible. L’écoute de « Smile » est également un moment très poignant, et je repense alors au seul instant où Bruce a failli fondre en larmes durant notre conversation Skype. Il évoque les deux prises vocales pour cette chanson avec l’orchestre philharmonique de New York, se terminant par une standing ovation pour Michael de la part des 80 protagonistes. Cette playlist reflète donc vraiment les émotions et les joies vécues par l’ingénieur du son durant cette collaboration, et j’ai alors le sentiment qu’il m’a réellement ouvert ses portes, oubliant même la distance entre nos deux continents pour une proximité plus réelle qu’une conversation via un support technique. En quittant ce studio, j’ai la conviction profonde qu’il ne faut pas se focaliser sur les inédits, et qu’un leak de deux minutes sur YouTube ne peut suppléer l’œuvre qu’il nous a laissée, celle qu’il avait fait le choix d’immortaliser, et qu’il faut savourer à sa juste mesure.
J’apprécie également le fait de recevoir le CD de l’album Bad dédicacé par Bruce Swedien. J’ai conscience que j’ai très peu de chances de rencontrer cet illustre personnage, alors je n’imaginais pas un jour avoir ce précieux sésame. Il a même écrit mon prénom, et ce sera sans doute mon seul instant commun avec lui et restera un des bons moments de cette journée car j’assume mon côté « groupie ».
L’après-midi est alors bien entamé, et il est temps de prendre place pour assister à cet échange avec Bea et Bruce Swedien. Une vidéo d’introduction est diffusée et nous permet de découvrir le quotidien du couple dans sa maison de Floride, une sorte d’arche de Noé au milieu des chiens, des chats et des chevaux. Des images d’archives, privées et inédites avec MJ, ont montré que Bubbles est venu également, mais Bruce avouera dans l’après-midi ne pas trop apprécier les singes.
D’un point de vue plus musical, la visite de son studio avec de nombreux documents me permet de voir que le titre original de « Childhood » est « Have You Seen My Childhood » et qu’un test pressing de HIStory Begins contient « Smooth Criminal » et « Human Nature ».
La visioconférence débute ensuite, et je m’aperçois immédiatement que la présence de Bea Swedien n’est pas superflue. Outre les faits amusants de reprendre son mari pour qu’il se tienne mieux sur sa chaise, on les sent vraiment en phase. Elle l’a suivi partout ces soixante dernières années, et maîtrise autant que lui les souvenirs liés à sa discographie. Parfois, quand il commence à fatiguer ou à avoir un doute, elle prend immédiatement le relais.
Concrètement, voilà ce que je retiens des quelques notes que j’ai prises :
– Pour Bruce Swedien, il faut suivre son cœur et son instinct avant tout. Tout est question d’émotion, bien avant la technique qu’il balaie tout au long de l’entretien, à ma grande surprise.
– Il apprécie particulièrement le Mix #9 de « Much Too Soon ».
– Il a commencé à s’approprier la musique à l’âge de 10 ans.
– Il n’y a pas de hand claps dans la version 2001 de « Rock With You », sa réponse est « Et alors ? », il se prend moins le bourrichon que nous finalement…
– Ce sont bien les pas de Frank Dileo qu’on entend au tout début de la chanson « Thriller ».
– Pour la première fois, il rejette un peu la faute sur MJ pour la rupture avec Quincy. D’ailleurs, on le sent très nostalgique de cette période. Il n’avait pas très envie de parler de Teddy Riley par exemple, le comparant à une partie de l’anatomie humaine afin d’expédier le sujet, ce qui déclenche des éclats de rire dans la salle.
– Lui et Quincy ont mis dehors Joe Jackson du studio car sa présence perturbait MJ pour donner le meilleur de lui-même. Il n’a pas l’air de porter le patriarche de la famille Jackson dans son cœur…
– Pour « The Lost Children », aucun souvenir de la présence des enfants pour enregistrer leurs voix (légendes urbaines ??)
– Bea a déclaré que le titre « Bad » vient du fait que MJ se soit fait expulser de chez un antiquaire, mais pour ma part j’avais déjà entendu cette anecdote au sujet de « Beat It » (confusion ??).
– Il a déclaré que MJ jouait du piano sur « Don’t Be Messin Around ».
– Pour lui, la musique d’aujourd’hui c’est n’importe quoi ! Suite à cette réaction, je me suis dit que j’aurais aimé connaitre son avis au sujet du dernier Daft Punk.
– En ce qui concerne les démos aujourd’hui, si on doit les retravailler, il faut procéder comme Michael l’aurait souhaité.
– En guise d’au revoir, il nous a dit qu’il fallait lire son livre. Peut-être qu’il estime qu’il a tout dit dans son contenu et que l’essentiel est là.
Un grand merci à Bea et Bruce Swedien ainsi qu’à l’association Music First pour cette belle journée.