(Off the Wall – Epic – 1979)
« It’s The Falling In Love » n’est pas la première chanson qui vient à l’esprit quand on pense à l’album « Off The Wall », mais elle mérite pourtant qu’on prenne le temps de s’y attarder, et ceci pour plusieurs raisons.
Le thème de l’amour, si présent dans de nombreuses discographies, est ici développé au travers d’un romantisme qui sait s’allier avec la sensualité, sans oublier d’évoquer le plaisir charnel traité avec élégance. Ce premier album solo de l’âge adulte se veut celui d’une émancipation artistique, mais cette ère nouvelle ne se ressent pas à l’écoute de ce titre. Le chanteur interprète un texte où il a une certaine expérience lui permettant d’analyser avec justesse cette sensation d’aimer. Ce sentiment particulier peut nous mêler aussi bien à de la joie comme de la peine, et ce vécu (dans un rôle de composition) perceptible à la voix de Michael sait que ces premiers instants de bonheur peuvent se transformer en instants de souffrances. En amour, il y a toujours un lésé car l’un aime toujours davantage que l’autre, et c’est l’une des facettes de cette composition. Cette crainte, si légitime, lui amène une certaine retenue afin de garder les pieds sur terre, mais cette nouvelle affection portée à sa partenaire est bien réelle au point de parler d’attirance. Celle-ci devient plus affirmée lorsque cette promise se fait entendre et qu’elle s’ouvre à lui pour lui conter son ressenti. Elle se veut prudente, mais ne peut se mentir à elle-même : la passion l’emporte sur la raison au point d’écouter ce que son cœur lui dicte. Tout est narré de façon si tendre et sensuelle que Michael se joint à sa partenaire pour évoquer des nuits qui n’appartiendront qu’à eux, et chacun fait un pas vers l’autre, à l’image de deux artistes dont cette partition musicale est devenue le lieu intime.
Ce thème musical se devait donc d’être un duo afin de mieux illustrer tous ces sentiments à la fois réalistes et indémodables. Ce concept est plutôt nouveau pour le futur Roi de la Pop, en dehors du cadre Jackson 5 (contenant de nombreux duos avec Jermaine) et ceux d’apparitions télévisées (comme cette rencontre avec Roberta Flack), car celui avec Diana Ross dans le long-métrage « The Wiz », « Ease On Down The Road », est paru l’année précédente.
Quincy Jones était d’ailleurs à la production pour cette dernière, et c’est de nouveau le cas pour l’album « Off The Wall ». Son carnet d’adresses, contenant les meilleurs virtuoses des sessions studios de Los Angeles, est donc un atout indéniable, mais il peut se permettre également de faire appel à l’une de ses protégés, comme ce sera le cas avec Siedah Garrett pour « I Just Can’t Stop Loving You ». A l’instar de cette dernière, Patti Austin n’est pas créditée au verso de la pochette, contrairement à Paul McCartney, un autre protagoniste des duos de cette trilogie Jackson/Jones. Son nom est forcément moins célèbre que celui de l’ex-Beatle, mais il est pourtant intéressant de s’attarder sur cette talentueuse artiste.
Patti, comme Michael, a commencé très jeune le chant puisque, dès l’âge de quatre ans, elle est invitée sur scène par la chanteuse Dinah Washington. Celle-ci est tellement séduite par sa prestation qu’elle la présente à son arrangeur, un certain Quincy Jones, qui deviendra une sorte de parrain artistique.
Arrivée à l’âge adulte dans les 70’s, elle entame une période alternant spots publicitaires et participations dans les chœurs pour de nombreux artistes. L’aube des 80’s est une période charnière où elle va multiplier les apparitions sur les productions de Q, à l’image de celles entendues sur « The Dude », paru un an avant « Thriller » avec de nombreux protagonistes communs. Sa prestation sur « It’s The Falling In Love » annonce d’autres duos à venir comme « Moody’s Mood », une collaboration avec George Benson, présent sur son album « Give Me The Night » en 1980. N’oublions pas également « Baby, Come To Me », cette composition de Rod Temperton, en compagnie de James Ingram , qui devient numéro un dans le Bilboard Hot 100 en février 1983, et évidemment son plus gros succès commercial.
Cet échange de qualité entre Michael et Patti a donc peut-être fait regretter à Carole Bayer Sayer de ne pas avoir interprété de nouveau cette chanson dont elle également créditée à l’écriture des paroles. Il faut préciser que ce titre est une reprise issue de son second album nommée « Too », datant de 1978, produit par son compagnon, l’illustre musicien Burt Bacharach. La version originale de Carole, avouons-le, reste moins subtile, dans un mode plus convenu par rapport à celle de Michael, aux sonorités et arrangements d’influence funky, la basse de Louis Johnson étant l’un des petits détails qui font toute la différence comme nous l’aurait si bien expliqué Quincy Jones. La compagne de Bacharach invitera donc MJ, telle une façon de rattraper le temps perdu, sur son album « Sometimes Late At Night » en 1981 pour un nouveau duo qui s’intitule « Just Friends ». Une période pré-Thriller où les participations avec divers artistes seront nombreuses. Tout cela contribuera à franchir de nombreux paliers afin d’arriver au sommet au point d’obtenir un statut qui ne pourra plus redescendre.
Carole n’est pas pour autant seule dans la genèse de cette oeuvre: elle est accompagnée dans ce rôle par David Foster qui endosse le rôle de compositeur, officiant également à nouveau comme claviériste sur ce titre. Il aura donc réussi la prouesse de jouer deux fois sa chanson sur deux albums différents pendant deux années consécutives. Il s’agit de sa première collaboration avec Michael Jackson, et il amène dans ses bagages un spécialiste des programmes de synthétiseurs, Steve Porcaro, un membre de Toto, le nouveau groupe californien de l’époque. Ce dernier, dont c’est également la première collaboration dans la discographie de Jackson, restera un des musiciens les plus présents jusqu’à l’album « HIStory », à l’image de sa composition avec John Bettis, l’incoutournable « Human Nature ». Foster n’est cependant pas en reste pour être présent dans la durée puisque nous le retrouverons derrière ses claviers pour l’album « Thriller ». Sa production pour la bande-originale du film « Bodyguard » en 1992 et ses 25 millions d’exemplaires vendus portés par le tube de Whitney Houston « I Will Always Love You », ont pu interpeller l’attention de Mike. Foster est donc de retour pour l’album « HIStory » et j’ai en mémoire ses productions grandioses pour « Earth Song » et « Childhood ». David Foster a donc eu le nez creux de composer cette ballade en 1978, alors qu’elle aurait pu rester confidentielle en se cantonnant à la discographie e Carole Bayer Sager. Cette œuvre est en tout cas plus importante qu’il n’y paraît.
Cette promotion de l’album Off The Wall a compté à son actif la parution de cinq 45 tours ainsi que trois vidéos-clips. En cette période, Michael n’était pas encore le roi en ce domaine, mais cet accessoire a été maintes fois jugé indispensable pour nous aider à aimer une chanson. Le titre « It’s The Falling In Love », dans la catégorie de ceux qui n’ont connu qu’une existence sur un album du Roi de La Pop, est l’exemple parfait pour contredire cette affirmation. Chaque chanson a son histoire, et chacune a apporté sa pierre à l’édifice dans cette riche discographie aux multiples générations d’auditeurs.