(Xscape – MJJ/Epic – 2014)
La fuite de « Do You Know Where Your Children Are » en novembre 2010 semblait de bonne augure pour l’album « Michael » qui allait arriver dans les bacs le mois suivant : cette chanson avait de quoi porter le nouvel opus à bout de bras, tellement elle faisait l’unanimité chez les fans. Malheureusement, cette nouvelle galette allait davantage diviser la communauté, à défaut de la rassembler. Tout cela en raison de quelques choix artistiques, aussi malheureux que discutables, à l’image de l’éviction dans la track-list finale de cette excellente chanson.
La fuite sur le net pouvait sembler un motif suffisant pour justifier ce choix, mais était-ce la seule raison ? La réponse est forcément complexe et amène une certaine réflexion, car pourquoi se priver d’un tel joyau qui était encore au stade d’être peaufiné et dépoussiéré en studio au mois d’octobre ?
L’Estate pensait peut-être que le thème de « Do You Know Where Your Children Are » ne se prêtait pas au menu d’un premier album posthume. Comme si le fait de voir l’image de Michael réhabilitée dans les médias depuis le 25 juin 2009 n’encourageait pas à l’entendre dénoncer la pédophilie et la prostitution enfantine. La presse et le grand public s’étant enfin décidé à oublier ces affaires sordides, il devait être inutile de leur rafraîchir la mémoire, d’autant que l’Estate, associé avec Sony, sont des entreprises qui pensent aux chiffres. Dans ce contexte, la prise de risques est davantage limitée, au point que la vision originale de l’artiste lors de la phase d’écriture n’est plus vraiment d’actualité au moment où les co-exécuteurs testamentaires peaufinent les derniers détails d’un nouvel opus. C’est d’autant plus injuste que le doute ou non de publier une chanson sur ce thème n’a nullement lieu d’être.
En effet, Michael est allé jusqu’au bout pour démontrer son innocence, vivant de longs mois d’un calvaire éreintant au tribunal, et le voir combattre quelque chose dont il a été accusé puis acquitté peut être considéré comme quelque chose de symbolique. Une façon de montrer que son combat pour prendre soin de l’enfance pour un monde meilleur pouvait se dérouler autrement que dans le cadre idéaliste d’une marelle ou d’une ronde sur fond de « Heal The World ». L’artiste avait su nous transmettre cette atmosphère grave, pleine de tourments, dans « Little Susie », mais le meurtre de cette petite fille sonnait le glas d’une fatalité dont nous ne pouvions que constater les dégâts. Pour « Do You Know Where Your Children Are », la volonté de sensibiliser sur ces dangers envers l’enfance reste assez proche dans l’intention, bien qu’il s’agisse là d’une alerte qui se veut productive au point d’avoir cette volonté de faire bouger les lignes, comme c’était également le dessein dans « They Don’t Care About Us ».
L’Estate a d’ailleurs retrouvé des notes du chanteur relatant d’où est venue l’inspiration de cette composition :
« La chanson parle d’enfants élevés dans une famille brisée où le père rentre ivre à la maison tandis que la mère se prostitue et les enfants fuguent de chez eux et deviennent les victimes du viol, de la prostitution, et le chasseur devient le chassé. Donc, ils sont dehors dans la rue. Savez-vous où sont vos enfants? Il est minuit, ils sont quelque part dehors dans la rue. Imaginez juste à quel point ils ont peur. C’est le problème de la fugue que nous avons ici en Amérique. Ils deviennent les victimes de la prostitution, de la vente de leurs corps. »
Il faut cependant savoir que « Do You Know Where Your Children Are » est malheureusement restée dans les coffres depuis pas mal de temps, et bien avant 1993 et 2003, pour ne plus l’associer une bonne fois pour toutes à de sombres événements. Ceci a pour but de clarifier certaines choses, sans pour autant insister à ce sujet, au risque de reproduire ici un parallèle que j’aurais facilement tendance à reprocher à d’autres qui souhaiteraient faire une enquête peu approfondie sur cette composition au point de se hâter vers de trop faciles conclusions. Fort heureusement, ce rendez-vous manqué avec « Michael » en 2010 aura été rattrapé avec « Xscape » en 2014, pour enfin avoir sa place sur un support officiel et être découverte dans sa version originale.
Voilà donc l’occasion de revenir aux origines de cette chanson, datant des sessions « Bad » avant d’être à nouveau relancée lors des premières esquisses liées à « Dangerous » en 1990. Cette version originale a donc été enregistrée par Matt Forger et Bill Bottrell. Le premier cité nous évoque des moments dans le studio familial d’Encino, confirmant le fait que nous aurions pu découvrir cette piste, tout comme « Loving You », dans les inédits de « Bad 25 ». Le second cité représente une alternative pour MJ de s’orienter vers des sonorités Rock ‘n’ Roll. En effet, le producteur de « Black Or White » et « Give In To Me », consommant ses bières derrière sa table de mixage, est une sorte de garant d’un son Jackson se diversifiant, au-delà du New Jack Swing de Teddy Riley, afin de conserver cet esprit rock, initié avec « Beat It » puis « Dirty Diana », lors de ses albums précédents.
Dans cette optique, la règle reste assez basique : le solo de guitare adéquat s’impose pour confirmer cette thématique musicale voulue pour accentuer le message initial instauré lors de la trame d’écriture. Pour cette tâche, David Williams réussit cette mission avec brio comme il l’avait fait lors de la version extended de « Bad », répondant à ce « David !!! » lancé par le King, sorte de « Slash !! » avant l’heure, dans une complicité davantage musicale que commerciale, où l’instinct prime sur le calcul. Au final, David Williams aura été un long compagnon de route, à l’image de sa présence sur scène avec notre idole de 1981 à 1997, lors de différentes tournées. L’aventure aurait pu se prolonger au moins jusqu’aux répétitions de « This Is It », mais le destin en a voulu autrement. J’ai encore le souvenir de cette news de MJFrance en plein après-midi du 9 mars 2009 annonçant son décès. J’étais estomaqué, mais je n’avais pas vraiment pu cogiter car je devais prendre la route pour aller à la salle de l’Alhambra à Paris afin d’assister à un concert de Steve Lukather. Ce dernier n’a pas manqué de rendre hommage à David dès les premières minutes, dans un discours d’émotion non-feinte, insistant de bien vivre chaque instant de notre vie, car chaque jour peut être le dernier. Il interprétait à l’accoutumée la chanson « Wings Of Time » de Toto afin de rendre hommage à Jeff Porcaro, mais l’associa à son camarade guitariste pour l’occasion en tant qu’ultime morceau de la soirée.
J’ai donc découvert il y a peu que Luke, appelé pour confectionner cette version 2010 de « Do You Know Where Your Children Are » a marché sur les traces de son ami, afin d’offrir un excellent résultat, en modernisant l’ensemble sans dénaturer l’âme de la composition. Ce titre est là pour nous rappeler que l’univers de la guitare dans le son Jackson ne se limite pas à des Eddie Van Halen ou Slash, et que d’autres protagonistes moins connus mais bien plus présents tout au long de l’aventure ont su apporter leurs talents.
En ce qui concerne la version 2014 de Timbaland, ce dernier a bien entendu ajouter un solo de guitare au final, se sentant peut-être obligé de corriger le tir sous son fond d’électro. Trop tard, le mal était déjà fait, mais nous dirons qu’il s’agit là d’un détail infime. David et Luke ont contribué à matérialiser ce que désirait Michael pour sa chanson et c’est l’essentiel.