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Entrevues

Michael Sherwood

 

Le nom de Michael Sherwood ne peut vous être inconnu lorsque vous êtes un fan de Toto. En effet, il s’agit là d’un des plus fidèles collaborateurs de Steve Porcaro ces trente dernières années. J’avais donc le souhait d’évoquer avec lui ce parcours musical pour tenter de décrypter cette belle complicité. L’occasion d’évoquer la chanson For All Time, écrite pour Michael Jackson, tout comme les contributions communes pour les albums XIV de Toto et Someday/Somehow de Steve Porcaro. Merci à Michael Sherwood d’avoir permis d’en apprendre davantage sur sa carrière de claviériste/chanteur offrant ses talents d’écriture et de composition.

Tout d’abord, comment est venue cette passion pour la musique et ce choix de jouer du clavier, au point d’en faire votre métier ?

Je suis né dans une famille très portée sur la musique, depuis mes arrière-grands-parents jusqu’à mes grands-parents et enfin, mes parents ! (rires) Mon père était meneur de Big Band dans les années 40, et avant cela, dans les années 30, il était le guitariste de Bing Crosby. Il avait donc eu une toute autre vie avant de rencontrer ma mère dans les années 50. Quand il s’est installé avec elle en 1960 ou 61, c’est à Las Vegas qu’ils ont fondé une famille de façon à pouvoir travailler facilement, et c’est là que j’ai grandi au milieu du monde du spectacle. Mon père travaillait avec les gens qui faisaient partie du Rat Pack : Sinatra, Judy Garland, Sammy Davis Junior… J’étais entouré de la scène musicale de Las Vegas des années 60 : ma vie d’enfant était donc très particulière car c’était une époque unique pour vivre à Las Vegas compte tenu du fait que la ville a énormément changé depuis… Je suis donc né dans la musique et je joue du piano depuis le moment où… j’ai pu l’atteindre ! Autour de 4 ou 5 ans, il me semble. Mon père me faisait l’école à la maison et j’ai toujours été intéressé par le piano. J’ai commencé à jouer à l’oreille, puis mon père m’a appris les bases. Cette passion ne m’a jamais quitté et à l’adolescence, j’ai eu mon premier orgue Hammond B3: là, je suis tombé amoureux ! (rires) Je ne me souviens même pas d’une époque à laquelle je n’étais pas musicien : ça fait partie de notre ADN, à moi et à mon frère Billy !

Pouvez-vous nous parler de Lodgic, votre premier groupe ? Steve Porcaro et David Paich sont crédités dans votre album Nomadic Sands : comment a débuté cette collaboration ?

En fait, j’ai eu plusieurs groupes quand j’étais ado, mais en 1977, j’ai effectivement lancé un groupe qui s’appelait Lodgic avec Jimmy Haun, mon meilleur ami depuis l’âge de 8 ou 9 ans, et qui l’est toujours aujourd’hui. C’est lui qui joue toutes les parties de guitare sur l’album solo de Steve Porcaro. On travaille ensemble depuis des années. Lodgic se composait donc de Jimmy et moi-même, mais aussi Gary Starnes à la batterie et Mark Fletcher à la basse. Au départ, on a commencé par jouer la musique qu’on aimait mais qui était aussi assez difficile : Return To Forever, Frank Zappa et Jeff Beck. Des morceaux amusants à jouer mais exigeants. On était des ados et on voulait jouer des trucs durs, vous voyez ! Finalement, quelqu’un nous a remarqué et nous a fait venir à Los Angeles : il nous a installé dans un studio pour qu’on puisse répéter et commencer à développer notre propre musique. Billy a fini par rejoindre le groupe quand nous avons changé de bassiste : il devait avoir 16 ans car il a 6 ans de moins que moi, donc il était assez jeune. La blague, c’est qu’on jouait tout le temps des chansons de Yes quand il avait environ 12 ans et il nous suppliait : « S’il vous plait, est-ce que je peux jouer de la batterie sur les chansons de Yes? » Nous, on rigolait et on disait « Non » mais je crois bien que c’est lui qui rigole maintenant ! (rires)

A notre arrivée à LA, on a galéré un petit moment : on avait tous des boulots la journée, et on jouait dans des showcases en essayant de décrocher un contrat. Notre manager a eu la brillante idée de nous installer dans un endroit qui s’appelait Leeds Rehearsals et qui appartenait à Andy Leeds. Il savait que c’était là que le groupe Toto répétait et il nous a dit : « C’est un bon plan pour vous. Si vous voulez jouer avec les grands, il faut répéter là où les grands répètent ! » Et il a eu le nez creux car un jour de 1983, juste après que Toto ait raflé les Grammys avec leur album Toto IV (ils étaient donc au top et de très bonne humeur), il s’est trouvé qu’ils répétaient dans la grande salle et nous, au bout du couloir. Tout d’un coup, l’un de nos techniciens est entré et a dit : « Hé ! Y’a un gars avec des lunettes derrière la porte qui trouve que vous êtes vraiment bons ! Il veut savoir si il peut entrer. » Je me suis dit : « C’est Jeff Porcaro ! Evidemment qu’il peut entrer ! » Il nous a écouté pendant un petit moment avant de demander : « Je peux aller chercher les autres ? » J’ai dit : « Ooooook !!! » (rires) Il est revenu avec Steve et Mike Porcaro, Steve Lukather, David Paich, évidemment, et ils sont tous entrés et nous ont écouté jouer quelques chansons. C’était flippant mais super sympa ! Et puis, ils sont partis. Plus tard, David Paich nous a contacté en proposant de nous produire et d’intercéder en notre faveur pour nous décrocher un contrat. C’est comme ça que tout a commencé : juste parce que Jeff avait aimé ce qu’il avait entendu à travers les murs ! Finalement, ils nous ont obtenu un contrat avec A&M Records, et Steve Porcaro et David Paich ont produit notre album Nomadic Sands mais ils n’ont pas joué dessus. En gros, c’est grâce à eux qu’on a pu lancé notre carrière et se faire connaître ! C’était un énorme coup de chance et je leur en suis toujours resté très reconnaissant.

Vous doutiez-vous à ce moment-là que ce n’était que le début d’une très longue collaboration ?

Chacun d’entre nous avait ses propres centres d’intérêt et mon attrait pour l’écriture de chansons prenait une direction un peu différente de celle de Lodgic. J’écrivais des chansons différentes avec un autre gars et c’est la vision de Billy et de Guy Allison qui est devenue davantage prédominante au sein de Lodgic. Je traçais ma propre route et j’ai commencé à aller là où Toto répétait, c’est à dire chez David Paich. Je passais du temps avec eux et je suis devenu très ami avec Steve Porcaro. Il aimait ma voix et la manière dont elle s’accordait avec sa musique : il me faisait venir pour chanter sur les démos de ses chansons. Lui aussi explorait des directions différentes de celles de son groupe. Il avait écrit Human Nature pour Michael Jackson et il sentait qu’il se détachait de Toto. Pendant la création de l’album Fahrenheit, je passais donc beaucoup de temps à travailler avec Steve. Nous avons commencé à écrire ensemble et c’est à ce moment-là que je me suis retrouvé à chanter les démos de toutes ses chansons. Il m’a ensuite proposé de faire les choeurs sur sa chanson Lea qui figurerait sur l’album. J’ai donc chanté « Lea, do you still want me… » et ça rendait vraiment bien. David a apprécié et m’a demandé de doubler quelques parties vocales pour le titre Till The End : c’est comme ça que j’ai participé aux choeurs et au refrain sur cette chanson.

Mais peu de temps après la sortie de Fahrenheit, Steve a décidé de quitter Toto. Au même moment, Lodgic s’est séparé et Billy et Guy ont poursuivi leur route avec un groupe appelé World Trade, tandis que Steve et moi avons continué une très longue relation d’écriture et d’enregistrement qui dure désormais depuis 30 ans et qui nous a mené jusqu’à son disque solo, finalement ! (rires) Bon nombre de chansons que nous avons écrites ensemble l’ont été pour d’autres personnes : Michael Jackson mais aussi plein d’autres gens différents. Nous nous sommes donc retrouvés avec tellement de matière qu’il y a quelques années en arrière, on s’est dit : « Tu sais quoi, on va faire ton album solo ! » Steve est sans nul doute l’un de mes amis les plus proches sur cette terre. David et moi sommes également très proches : nous avons écrit de nombreuses chansons ensemble et quand il a entendu certains trucs que je faisais avec Steve pour son album solo, il m’a demandé si j’accepterais de participer et d’écrire des paroles pour Toto XIV. Il voulait que je travaille sur le morceau Chinatown.

Ce titre Chinatown était initialement une démo de 1977, n’est-ce pas ?

Oui, c’était une très vieille piste qu’ils m’ont confié, et c’était très inhabituel d’entendre Jeff et David Hungate, les gars des débuts du groupe. J’ai écrit une chanson sur ce vieux morceau et ça me donnait des frissons, vous savez, parce que ça faisait penser au retour de Boz Scaggs. Mon boulot, c’était d’apporter des paroles et comme cette chanson parle d’un endroit en particulier, je voulais être sûr que les lieux évoqués étaient bien corrects. A un moment, il parlait de Grand Street et j’ai dit : « Non, non, non, Grand Street ne va pas jusqu’au téléphérique, c’est Grand Avenue ! » Ce genre de choses, vous voyez, donc j’ai fait en sorte qu’il dise des choses vraies. Et tout s’est très bien passé.

Vos autres contributions sont les titres All The Tears That Shine avec David Paich, ainsi que Bend avec Steve Porcaro. Pouvez-vous nous parler du processus créatif de ces compositions ?

Nous avions déjà écrit All The Tears That Shine quelques années auparavant, avec l’idée de la proposer à un autre artiste, donc ce n’est pas une chanson qui a été écrite pour Toto. Finalement, David m’a appelé pour me dire que Toto était intéressé et qu’il allait l’interpréter. Nous avons donc terminé les couplets et ça s’est très bien passé également. Dave et moi, on a une relation très cool et chaleureuse : on rigole beaucoup ! Mais on sait aussi être très sérieux quand il est temps de se mettre au travail.

Pour l’album solo de Steve, il y avait en effet la chanson Bend mais aussi une autre chanson intitulée The Little Things que Toto a décidé d’inclure dans leur album. Je ne l’ai pas écrite mais j’ai participé à la mise en place d’une partie des paroles, pas de façon suffisamment importante pour que je songe à me considérer comme l’un des auteurs, mais j’ai travaillé très dur sur cette chanson. Sur Bend, c’est moi qui devais chanter à l’origine et j’ai écrit la majeure partie des paroles. Elle n’était pas censée apparaître sur l’album de Toto jusqu’à ce qu’ils aient besoin d’un bonus track pour l’édition japonaise. J’aurais préféré qu’elle soit sur toutes les éditions mais malheureusement, elle n’est que sur la version japonaise ce qui me peine un peu.

Voilà, c’est comme ça que les choses se sont passées et que cette longue relation de travail avec les gars de Toto dure depuis très longtemps…

Pouvez-vous nous raconter la genèse du titre For All Time, initialement prévu pour l’album Dangerous ?

Michael avait appelé et il voulait une sorte de suite, quelque chose dans le même esprit que Human Nature et visiblement qui vienne de Steve. Nous avons écrit plusieurs chansons dont For All Time. Il avait en effet l’intention de l’inclure dans Dangerous où elle était censée être la ballade de l’album. Michael l’a enregistrée et ça rendait vraiment bien donc nous étions tous très enthousiastes. C’est à ce moment-là que ce jeune garçon Ryan White est décédé après avoir contracté le SIDA lors d’une transfusion sanguine : c’était très triste. Michael avait cette magnifique chanson qui s’appelait Gone Too Soon et il fallait qu’elle soit sur le disque. C’est donc ce titre qui a plus ou moins éjecté notre chanson de l’album Dangerous. Par la suite, on a espéré qu’elle serait sur le disque suivant, puis encore le suivant, et finalement, on est passé à autre chose et on a continué à écrire. A un moment, Lionel Richie a été contacté et il était intéressé pour la reprendre. Steve m’a raconté qu’une piste musicale avait été enregistrée avec Nathan East et d’autres personnes mais je ne l’ai jamais entendue et elle n’a jamais été divulguée.

Ce titre est finalement paru en 2008, sur le projet Thriller 25. Connaissez-vous les raisons qui ont conduit à ce choix artistique ? Avez-vous des souvenirs et impressions liés à cette bonne nouvelle ?

En 2005, ou peut-être au début de l’année 2006, nous avons reçu un coup de fil de Michael nous annonçant qu’il allait sortir le disque du 25ème anniversaire de Thriller et qu’il souhaitait y inclure For All Time. Nous étions très surpris mais nous l’avons sorti des archives pour le terminer. Vingt années avaient passé mais il ne faut jamais renoncer, la preuve ! C’était une très agréable surprise quand Steve m’a appelé en disant : « Tu es assis ? » J’ai répondu : « Non. » Il a rétorqué : « Assieds-toi ! » (rires) Par la suite, j’ai parlé à Michael car je voulais réécrire les couplets. Vous comprenez, 20 ans plus tard, j’écrivais mieux donc je lui ai dit : « Est-ce que je peux réécrire les couplets, s’il te plait ? J’adore le refrain et le pont, mais je pense qu’i y a encore un peu de boulot sur les couplets. «  Mais Michael m’a répondu : « Oh, non, je veux garder la chanson exactement telle qu’elle est ! » J’ai fait : « D’accord. » et j’ai pensé : « C’est toi le Roi de la Pop !… » (rires)

Des anecdotes et souvenirs de studio avec Steve Porcaro et Michael Jackson ?

Je me souviens des sessions aux studios Record One et de Michael qui était vraiment professionnel, obligeant et amical, mais réservé. Le truc, c’est qu’on avait fait la majeure partie du travail 20 ans plus tôt et qu’il ne nous restait plus qu’à dépoussiérer un peu le morceau et le mettre au goût du jour. Ensuite, Michael y a ajouté quelques éléments vocaux et il a chanté le pont, chose qu’il n’avait pas fait auparavant. Du coup, je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’être proche de lui, mise à part sur une journée de travail peut-être. Le reste du temps, c’est Steve et moi qui travaillions tous les deux.

Vous êtes ensuite impliqué dans le projet XIV de Toto. Près de trente ans après Fahrenheit, est-ce que le processus créatif de Toto en studio a évolué ?

Vous savez, la technologie a tellement changé… et puis, je ne sais pas grand chose de leur processus créatif de l’époque car je n’intervenais que pour enregistrer les choeurs. Je ne participais pas à tant de sessions que ça avec Toto car moi, j’allais chez David, dans son studio personnel, et aussi celui de Jeffrey. Pour l’album XIV, on m’a simplement demandé d’améliorer les paroles en travaillant sur les mots, et de m’assurer que les paroles et les mélodies s’accordaient. Comme je l’ai dit, tout ce que j’ai écrit avec Steve pour l’album XIV a en fait été prélevé sur d’autres groupes de chansons prévues au départ pour son album solo, Someday/Somehow.

Au sujet de Someday/Somehow, diriez-vous qu’il s’agit de votre plus importante collaboration commune avec Steve Porcaro ?

Absolument ! Et de loin. Steve et moi travaillons ensemble depuis si longtemps, nous avons le même vocabulaire harmonique et des sensibilités similaires. Quand Steve traverse quelque chose au plan personnel, on en discute longuement et on trouve le titre d’une chanson. Puis, je me mets à travailler sur les paroles. On s’assoit dans une pièce tous les deux et on ajuste les mots jusqu’à temps qu’ils nous plaisent à tous les deux. Mon travailles nourrit principalement des conversations que nous pouvons avoir et des titres que nous trouvons. Ensuite, on discute. C’est un procédé qui fonctionne depuis très longtemps. Une chanson comme Swing Street, que Michael McDonald chante sur l’album, a dû être écrite en 1990 ou 1991. C’est Jimmy Haun qui a joué les parties de guitare à l’origine, et quand Steve Lukather s’y est collé, il a aimé ce que Jimmy avait fait alors il a juste ajouté quelques touches personnelles.

Ce disque est une œuvre faite avec passion et c’est sûrement celle dont je suis le plus fier en tant qu’auteur et co-producteur. Steve et moi-même avons vraiment tout donné, mais il avait besoin d’une date butoir car il travaillait vraiment très dur sur cette émission télé, Justified. Je lui ai dit : « Steve, disons que cet album doit être présenté à la télé en Décembre. Comment est-ce qu’on va faire ? » C’est comme ça qu’on s’est fixé une date et que le disque a vraiment commencé à prendre forme. Bon, on n’a pas respecté la date en question mais au moins, on en avait une ! (rires) Le disque n’est sorti qu’en Juin alors que le délai à respecter, c’était Janvier, mais ça nous a permis de mettre les touches finales et d’intégrer les sections de cordes et de cuivres. Tous les merveilleux batteurs, y compris Lenny Castro, bien sûr, et puis Lukather également sont venus et nous ont aidé. Jimmy Haun a joué la plupart des parties de guitare puisqu’il est mon guitariste numéro 1, et donc, nous avons terminé le disque, finalement, après 30 années de travail !

Steve Porcaro chante sur 7 des 13 titres de l’album, vous chantez le titre Make Up tandis que Michael McDonald et Mabvuto Carpenter sont les autres protagonistes vocaux. Lors de la production, comment fait-on ce choix de celui qui posera sa voix ?

Au départ, c’est moi qui chantais la plupart des démos mais une fois que nous avons décidé d’en faire un disque de Steve Porcaro, j’ai insisté pour que Steve chante tous les morceaux sur lesquels il se sentait à l’aise. Il a donc remplacé un bon nombre de mes parties vocales et j’en étais très content car il a fait un super boulot. La seule que j’ai voulu garder, c’est Make Up car je trouvais que ma voix s’accordait mieux avec cette chanson.

De plus, j’avais toujours eu en tête que Michael McDonald interprète Swing Street. Quand je chantais la démo originale, je faisais parfois une mauvaise imitation de Michael McDonald ce qui faisait rire Steve. Mais tout au long de ces années, je continuais de dire : « Michael McDonald devrait chanter cette chanson ! » et Steve faisait : « Ok, d’accord… » Il en avait marre de m’entendre répéter ça. Et puis, en 2016, il m’a appelé en disant : « Tu peux venir me donner un coup de main pour enregistrer une voix sur le disque ? » J’ai demandé : « C’est qui ? Quelle chanson ? » Il a juste répondu : « Viens. » (rires) J’y suis donc allé et Michael était là, prêt à chanter Swing Street ! C’est moi qui ai produit la session tandis que Steve est resté là à nous regarder en souriant : ça faisait 15 ans que j’attendais ce moment et enfin, il pouvait voir mon air ravi ! On était très contents.

Comme je l’ai dit, je pensais que Steve devait interpréter la plupart des chansons sur le disque, c’est à dire 6 ou 7 d’entre elles, et que si nous devions faire appel à d’autres chanteurs, il fallait qu’ils s’intègrent dans l’univers Porcaro / Toto. C’était notre conception des choses à tous les deux. C’est pourquoi Michael McDonald nous semblait un bon choix car il a participé à beaucoup d’albums de Toto et il fait partie de cette grande famille, tout comme Mabvuto (Carpenter).

La voix de Jamie Kimmet n’est pas sans me rappeler celle de Michael Jackson. Dès le départ, souhaitiez-vous engager un chanteur de ce style pour interpréter des titres composés initialement pour le Roi de la Pop ?

Nous voulions que ce soit un album de Steve Porcaro et depuis quelques années, je travaillais avec un jeune Ecossais du nom de Jamie Kimmet. Jamie a une belle voix assez haut perchée que vous pouvez percevoir comme ressemblant à celle de Michael. J’ai donc proposé : « Steve, aurais-tu une chanson dans un registre assez haut ? Je pense qu’on devrait essayer de faire chanter ce petit gars, Jamie. » Je l’ai donc fait venir et Steve est tombé amoureux de sa voix. Nous n’essayions pas du tout de le faire ressembler à Michael Jackson : c’est juste qu’il possède ce même type de sonorité naturelle. Pour tout ce qui était dans le registre haut, nous avons donc fait appel à Jamie Kimmet car sa voix était parfaite. Même lorsque ce n’est pas Steve qui chante, je veux que les auditeurs sachent qu’ils écoutent une chanson de Steve Porcaro et je crois qu’avec nos choix de chanteurs, nous avons réussi à atteindre ce but.

Pour Back To You, des prises issues des sessions de l’album Isolation et sur lesquelles on peut entendre Jeff et Mike Porcaro ont été utilisées. Etait-ce techniquement complexe à réaliser ?

En fait, comme la réalisation de cet album a pris beaucoup de temps, c’est Mike Porcaro qui joue de la basse sur tous les morceaux, excepté Someday/Somehow (qui est d’ailleurs ma chanson favorite de l’album). Avant de tomber malade, Mike venait en studio très régulièrement et posait des lignes de basse, ce qui fait que c’est lui le bassiste sur tout l’album et c’est merveilleux ! Ensuite, j’ai suggéré qu’on recherche une boucle de 8 ou 16 mesures enregistrée par Jeffrey car je me suis dit : « Puisque Mike est sur le disque, on pourrait y avoir la présence des trois frères ! » Au début, Steve a dit : « Hum… J’ai peur que ça ait l’air un peu forcé. » Et il avait raison. Mais un jour, on a déniché une bande 24 pistes et je me suis exclamé : « Attends une minute ! Vous êtes tous les trois là-dessus ! » Steve a fait : « Oui, c’est une chanson de Toto. » Nous l’avons transférée pour l’écouter et c’était une piste sur laquelle ils essayaient de trouver une bonne rythmique, Lukather et tous les autres, en se concentrant sur les parties de batterie et de basse. Personne n’avait fini sa partie sauf Mike et Jeff. Greg Ladanyi l’avait tellement bien enregistrée que nous avons pu l’utiliser. Il suffisait de la transférer sur l’ordinateur et de construire autour de ce qui s’y trouvait déjà, y compris la partie de synthé de Steve sur laquelle Jeff et Mike s’étaient calés et avaient joué. Sur cette chanson, j’ai simplement aidé Steve à arranger les paroles, à déplacer certains mots et à faire quelques choix : pas de quoi me considérer comme auteur mais je l’ai aidé à finir la chanson. Et voilà, on l’avait ! Avec les trois frères réunis en temps réel comme en studio en 1983. C’était magnifique ! J’ai ajouté et chanté quelques chœurs parce que… qui ne voudrait pas être sur cet enregistrement ! (rires) Nous avons aussi ajouté une petite partie de pipeau jouée par mon ami Don Markese, et c’est ainsi que nous avons pu réunir les trois frères de manière très authentique.

Est-ce que ce procédé pourrait donner des idées au groupe Toto pour son prochain album qui fêtera les 40 ans du groupe ?

Oui, je suis sûr que les gars de Toto recherchent des vieilles pistes sur lesquelles jouent les trois frères pour leur prochain album et ils vont trouver. Je suis certain qu’ils vont faire « revenir » Jeff et Mike. Mais nous l’avons fait en premier ! (rires)

Etes-vous impliqué dans ce nouveau projet et quelles sont vos impressions à ce sujet ?

Je ne sais pas. En général, je reçois simplement un appel. Ils savent que je suis disponible et que s’ils ont besoin de moi, je suis là ! J’ignore quelles chansons Steve va choisir pour ce disque. Ce que je sais, c’est que je suis déjà impliqué dans une grande partie de son répertoire, donc j’attends de voir. J’espère être sollicité ! Si je peux aider de quelque manière que ce soit, je suis toujours prêt !

Selon vous, qu’est-ce qui fait que vous êtes si complémentaires avec Steve Porcaro, aussi bien humainement que professionnellement ?

Eh bien, nous sommes sur la même longueur d’onde. On rigole beaucoup et on a aussi des conversations très sérieuses sur des sujets très importants. Nous nous soutenons dans les moments difficiles et nous avons un lien très fort, comme des frères. Mais on sait aussi rester léger : on aime rire et on partage le même sens de l’humour. Nous avons le même vocabulaire harmonique, la même façon de penser, et nous aimons les mêmes choses et le même style de musique… Nous formons simplement une bonne équipe depuis longtemps. J’ai été très agréablement surpris d’être crédité en tant que coproducteur de l’album car ce n’est pas ce qu’on m’a demandé au départ et je n’ai rien demandé non plus. Jusqu’à la fin, je ne savais pas que Steve allait m’annoncer que j’apparaîtrais comme coproducteur, même si je suis d’accord pour dire que j’ai effectivement co-produit le disque, mais je ne m’attendais pas à ça. Ce n’était pas ma motivation première. mais j’ai été très content qu’il me donne ce statut et j’en suis très fier.

Pour conclure, auriez-vous quelques recommandations pour aborder d’autres titres de votre discographie ?

Actuellement, j’ai deux albums sur le site Bandcamp. L’un s’intitule Groovy Lemon Pie : je l’ai réalisé avec un autre de mes partenaires, Christian Nesmith (le fils de Mike Nesmith du groupe The Monkees). C’est un son plus pop, mais je suis très fier de ce disque. L’autre est l’album Tangletown que j’ai sorti en 1997 avec mon groupe lancé au début des années 90. Le son y est plus grave et mon écriture, mes paroles et ma voix y sont davantage mis en lumière. Je travaille actuellement sur un nouveau disque mais vous en saurez plus d’ici quelque temps. Et puis, il y aussi Swifty’s Bazaar, un album-concept qui m’a pris 4 ans à mettre sur pieds. C’est un mélange de tout ce que j’aime, de Return To Forever à Frank Zappa, et qui doit s’écouter comme un seul morceau de musique. C’est un voyage acoustique très sympa qui intègre différents styles musicaux et des choses très jolies, mais aussi des parties instrumentales complexes entrecoupées de passages parlés et de canulars téléphoniques marrants… C’est un disque très amusant dont je suis très fier également que j’ai fait avec un gars qui s’appelle Andrew T. Rosenthal. On le trouve sur itunes mais il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de blancs entre les chansons si vous l’écoutez car c’est un voyage acoustique global.

https://michaelsherwood.bandcamp.com/