Mercredi 25 Juillet 2018
Le fameux dicton « Jamais deux sans trois » me revient souvent à l’esprit. Il est vrai qu’après avoir vu The Jacksons à Carcassonne en 2014 et à Londres l’année suivante, j’avais l’envie de revoir les frères de Michael sur scène. Le groupe ne repassant plus par la France ces dernières années, il fallait donc choisir une date à l’étranger durant mes vacances d’été pour exaucer mon souhait. Après quelques hésitations entre Edimbourg et Barcelone, c’est celle de Santander qui est finalement choisie.
L’occasion de découvrir cette belle cité portuaire dans le nord de l’Espagne offrant au festival « Los Conciertos de la Campa » un cadre idyllique avec cette scène au bord de l’Océan Atlantique. Toutefois, mon espagnol reste assez limité mais je parviens à m’en sortir avec quelques « Quiero Coca Cola Zero, por favor » et autres « Muchas gracias » ! Ces quelques mots m’ayant permis de survivre, je peux donc pleinement apprécier ce concert. Il est forcément controversé pour certains fans de la communauté mais j’ose imaginer que mon enthousiasme débordant à réaliser cette revue pourrait faire changer d’avis quelques sceptiques. En effet, beaucoup de fans ne comprennent pas l’intérêt de voir jouer Queen sans Freddie Mercury et on pourrait aisément faire de même pour les Jacksons sans Michael…
Et pourtant ! En ce mercredi 25 juillet 2018, 50 ans et deux jours après l’audition des frères Jackson pour Berry Gordy chez Motown, il faut saluer le fait que le groupe existe toujours et se produit encore sur scène. Je réalise cette chance alors que les musiciens rejoignent la scène et que l’écran géant s’allume. Celui-ci dévoile de nombreuses images d’archives sous les sonorités de « I Want You Back », le premier tube du groupe. La tension monte d’un cran avec des bruitages de flashs de photographes faisant apparaitre quelques sublimes clichés du « Victory Tour ». De nombreuses pages d’histoires de l’univers Jackson défilent devant nous, tel un démarrage en trombe.
C’est ainsi que les frères font logiquement leur entrée avec la si bien nommée « Can You Feel It ». La chanson d’ouverture est celle du « Triumph Tour » mais Tito, Jackie, Marlon et Jermaine commencent à enlever leurs lunettes de soleil comme c’était le cas en 1984. Comme s’ils puisaient dans différentes époques afin d’offrir le meilleur show aujourd’hui. Marlon harangue la foule dès les premières notes et ce n’est que le début ! Les percussions restent toujours aussi percutantes et efficaces et nous apportent ainsi cette émotion quasi indescriptible. Les deux interprètes originaux, Randy et Michael, sont remplacés par chacun des frères se partageant les couplets. Une façon de dire qu’ils se distribuent les rôles de façon équitable car personne ne souhaite remplacer Michael. Il est vrai que l’âme de ce dernier est tellement présente qu’on ne peut que ressentir ce show comme le plus bel hommage d’un groupe envers son leader.
Pas le temps de souffler que les frères enchainent avec « Blame It On The Boogie ». Un titre logiquement présent vu son statut d’incontournable dans la discographie des frères. Il est vrai que cet extrait de l’album « Destiny » est un titre joyeux et festif qui apporte un esprit de communion avec le public. Les images d’archives sur l’écran géant sont documentées par la prestation d’American Bandstand de 1979 ! Cette volonté de documenter chaque chanson par d’anciennes prestations nous rappelle forcément toutes ces vidéos visionnées en VHS durant de nombreuses années. Les vieux souvenirs remontent et nous n’imaginions pas forcément que cela se produirait en assistant à un concert des membres originaux des Jackson 5 toujours en vie pour nous offrir ce partage.
Il est temps de passer à « Rock With You » sur fond de strass et de paillettes, sans oublier le paquet de Marlboro de Rod Temperton, qui fait partie intégrante de l’univers de ce fabuleux hit. Celui-ci était interprété durant les tournées « Destiny », « Triumph » et « Victory » et a donc un certain lien affectif avec le groupe. D’un point de vue plus personnel, j’ai assisté à deux concerts de Michael Jackson sans pour autant entendre cet extrait de l’album « Off The Wall ». Ce retour des frères sur scène permet donc de redécouvrir certains hits en live, et c’est pourquoi je ne bouderai pas mon plaisir.
Ce voyage dans le temps nous ramène alors en 1976 avec le titre « Enjoy Yourself ». Le groupe venait de quitter Motown pour Epic avec cet esprit de liberté artistique retrouvé sous la bienveillance des producteurs Kenny Gamble et Leon Huff de Philadelphia Records. Une page d’histoire qui se devait d’être présente ce soir, à l’image de ce premier single sous le nom de The Jacksons. Le recul nécessaire pour mesurer son importance, lorsque le groupe se produisait sur scène en 1981 et 1984, n’était pas encore de mise mais prend tout son sens aujourd’hui. C’est dans ce même état d’esprit que le groupe enchaine avec « Show You The Way To Go », l’autre single du premier album chez Epic Records. L’occasion pour Marlon de faire chanter le public avec lui de façon symbolique comme pour mieux nous faire réaliser l’importance des paroles. Il est vrai qu’il est temps de constater le chemin parcouru par la fratrie Jackson pour en arriver là, un soir de juillet 2018 dans cette cité ibérique. Comme une façon de ralentir le temps et de mesurer toutes ces joies et ces peines qui sont le lot d’une vie de famille et qui font notre vécu à tous.
Il est ensuite temps de revenir à une sorte de rituel pour le titre suivant, tellement « Lovely One » a un statut d’incontournable en live. L’extrait de l’album « Triumph » a ce statut de titre indéboulonnable pendant les tournées de 1981 et 1984, au point de survivre jusqu’à la première partie du « Bad Tour » en 1987. Jermaine reste en première ligne pour le chant, mais ses frères ne sont pas en reste en se donnant à fond dans une chorégraphie nous rappelant de nombreux pas des 80s. Chacun des frères a désormais passé le cap de la soixantaine, mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont aller à l’économie. Jackie et Marlon s’essuient désormais davantage le visage avec leurs serviettes mais la volonté de s’impliquer est toujours là. Le fait de vouloir refaire à l’identique une chanson initialement interprétée il y a 37 ans démontre ce désir de ne pas se laisser écraser par le poids des années.
Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas savoir souffler de temps en temps. Cela tombe bien, une pause s’impose pour le groupe avec un interlude vidéo sous les sonorités de « 2300 Jackson Street ». Choix logique de ce hit familial vu qu’il accompagne de nombreuses archives avec les témoignages de Katherine et Joe Jackson. Ce dernier, venant de nous quitter quelques semaines plus tôt, apporte encore davantage d’émotion à ce reportage. Une façon de nous rappeler que tout est parti de cette petite maison à Gary dans l’Indiana. C’est un peu comme si ce qui se déroule devant nos yeux n’est pas seulement un concert : il s’agit-là d’une rétrospective de l’histoire des Jacksons dans un musée à l’ambiance musicale. Le retour des frères sur scène va en ce sens puisque Marlon prolonge cet instant de partage par un discours de remerciements envers le public pour son soutien, avant d’haranguer la foule en lui demandant si elle veut passer un bon moment. Tito surenchérit immédiatement en proposant les classiques de la période Motown. Le public ne peut répondre que par l’affirmative, d’autant que Jermaine porte désormais sa basse comme lors du Ed Sullivan Show de 1970.
Il est donc temps de débuter ce Medley Jackson 5 par « I Want You Back » et de perpétuer ainsi cette tradition instaurée par le groupe et prolongée par les tournées solos de Michael. Avec une chorégraphie à l’identique des années Motown et un Jackie en première ligne pour lancer le tour de chant. Ce voyage dans le temps est d’autant agréable qu’il est accompagné d’images du cartoon de l’époque. Tellement amusé de redécouvrir ces images, j’en oublie presque de remarquer que le groupe enchaine immédiatement avec « ABC » puis « The Love You Save ». Une étourderie furtive avec ce motif, pour tenter de me dédouaner, que tout est si fluide et efficace dans cet enchainement. Il est vrai que ce medley avec ces trois chansons ne peut être que bien rodé. Le groupe le réalisait déjà en 1971, car n’oublions pas qu’il s’agit-là de ses trois premiers singles qui ont tous été numéro un au classement Billboard Hot 100.
Toutefois, et c’est tant mieux, un medley Motown n’avait jamais été aussi long depuis que les frères sont revenus sur scène en 2012 pour le Unity Tour. Rappelons que nous nous étions contentés de trois morceaux à partir du « Victory Tour » et cet état de fait s’était prolongé lors des trois tournées solos de MJ. Aujourd’hui, les frères Jackson prolongent le plaisir en ajoutant « Dancing Machine » au programme comme c’était le cas au Madison Square Garden en 2001 pour la dernière prestation du groupe avec le Roi de la Pop. Excellente initiative qui me donne l’occasion de pouvoir l’entendre en live. Je repense alors à mes dix ans et à ma première écoute de ce morceau lors du visionnage de « Moonwalker » au cinéma. Je découvre alors un Michael Jackson faisant le robot dans les années 70 et je réalise que son univers ne peut se limiter à « Thriller » et « Bad » : tout est bien plus vaste avec cet artiste qui repousse toutes les limites… Cet hommage aux années Motown parti sur les chapeaux de roues prend désormais une direction plus émotionnelle avec « Never Can Say Goodbye », comme c’était le cas lors de la prestation des frères lors de Motown 25 en 1983. Cette émotion particulière se prolonge avec « I’ll Be There » qui, d’un point de vue traditionnel, conserve ce statut de conclusion parfaite pour ce voyage dans les années 70. Les coupes afros et pantalons pattes d’eph’ ont disparu mais l’état d’esprit de l’époque est toujours là. Tito est toujours avec sa guitare tandis que Jermaine chante la partie de Michael, au point de laisser la sienne à Marlon.
On pourrait aisément penser que le concert va reprendre avec un titre up-tempo mais il n’en est rien. D’autant que les nombreuses photos de Michael sur l’écran géant prolongent ce moment de recueillement sous les premières notes de « Gone Too Soon ». Ainsi, Jermaine occupe le devant de la scène pour rendre hommage à son frère ce qui n’est pas sans me rappeler son interprétation de « Smile » le 07/07/2009 au Staples Center devant la terre entière. Les autres frères restent assis en retrait, dans un esprit de méditation mais je remarque Jackie qui ne peut s’empêcher de fixer son cadet tandis qu’il chante. C’est comme si de nombreux souvenirs remontaient à la surface, et c’est un peu le sentiment de chaque spectateur à cet instant. L’artiste nous a accompagnés tout au long de notre vécu de fan, et comme ses frères nous aurons toujours cette volonté de lui rendre hommage.
Après ce déluge d’émotions, il est temps de souffler un peu et de revenir dans un cadre plus festif. Cela tombe bien, l’écran géant diffuse désormais la pochette du nouvel album solo de Tito. L’occasion pour le guitariste de prendre le devant de la scène avec son titre « We Made It ». Celui-ci est fort agréable et entrainant, et démontre que les frères ont toujours cette volonté de faire de la musique avec du nouveau matériel. Ces dernières années, Jermaine interprétait son medley personnel à cet instant du concert mais l’actualité de Tito méritait bien ce changement.
Pour le morceau suivant, je devrais m’habituer à sa présence car cela commence à faire plusieurs années que c’est le cas. Et pourtant j’ai toujours ce petit frisson de surprise à entendre « Can’t Let Her Get Away » au programme. Il est vrai que cet extrait de l’album « Dangerous » n’avait jamais été interprété en live ni paru en single. Toutes les conditions étaient donc réunies pour qu’il reste au placard jusqu’à la nuit des temps mais heureusement, ce n’est pas le cas. D’autant que c’est un moment fort du concert avec les frères présentant chacun des musiciens effectuant un solo. C’est funky et groovy sous les sonorités du New Jack Swing et cela offre un cocktail détonant. Il était audacieux de choisir cette chanson au programme mais parfois, l’audace paie ! D’autant que le groupe s’éclate vraiment durant cette performance, à l’image de Marlon qui démontre pleinement ici ses talents de danseur.
Il est cependant temps de revenir à un schéma plus conventionnel avec l’introduction de « Heartbreak Hotel (Aka This Place Hotel) » reconnaissable dès les premières notes, tellement c’est un classique. Dans un statut similaire à celui évoqué pour « Lovely One » un peu plus haut, elle reste toutefois raccourcie pour aller à l’essentiel. Ce titre, devenu de plus en plus rock au fil des tournées et des années qui passaient, revient dans un schéma proche de celui du Triumph Tour. A l’image de ce solo de guitare de Tito davantage dans un esprit jazzy comme c’était le cas en 1981.
Toutefois, c’est 1984 qui me revient à l’esprit dès que le groupe entame la chanson suivante. Je veux bien entendu évoquer le morceau d’ouverture du « Victory Tour », à savoir « Wanna Be Startin’ Somethin’ »! La comparaison avec cette tournée légendaire, vécue il y a trente-quatre ans juste après la Thriller-mania, peut sembler superflue mais ainsi je peux mesurer ce vécu pour Tito, Jackie, Marlon et Jermaine. Ce sont ces mêmes personnes qui me paraissaient inabordables et à la limite de l’imaginaire dans un autre temps pour une série de concerts sur un continent qui me paraissait tout autant inaccessible. Une tournée tellement particulière qu’elle n’avait aucune nouvelle chanson du nouvel album éponyme à son programme. On aurait peut-être pu suggérer à Marlon d’interpréter sa chanson «Body » pour conjurer le sort, d’autant qu’elle reste assez proche musicalement de l’extrait de l’album « Thriller ».
Ce ne sera pas pour la suivante, les frères restant dans un schéma classique avec l’excellent « Shake Your Body » qui concluait magistralement les concerts de 1981 et 1984. Ajoutons qu’il s’agit-là du single le plus vendu de l’histoire du groupe, et vous comprendrez qu’il a peu de chances d’être exclu de la fête. Au point de conserver aujourd’hui sa durée de quinze minutes minimum avec une chorégraphie à l’identique de celles de 1978 et 1984. Le temps également de communier avec le public et lui faire taper des mains tandis que les musiciens s’éclatent dans les démonstrations techniques. D’ailleurs, Jermaine a repris sa basse ! Tellement habitué à ce final, je pense que le concert est terminé lorsque les frères saluent la foule et quittent la scène, non sans un bain de foule avec le premier rang pour Marlon et Jackie.
Eh bien, non ! Après un rappel du public, la scène se remplit à nouveau à ma grande surprise. Tel un pénalty prenant totalement à contre-pied un gardien de but, j’entends les riffs de guitare de « State Of Shock » ! Le voilà mon extrait de l’album « Victory » que je n’attendais plus en live ! Mick Jagger n’est pas demandé en renfort car Jackie assure les parties vocales et apprécie de jouer les rockers avec ses frères ! C’était ainsi que la soirée devait se conclure avec cette satisfaction d’avoir réentendu en concert de nombreuses pépites jacksoniennes. Dans ce sentiment, j’ajouterais « Man Of War », « Good Times », « When The Rain Begins To Fall » entendus les années précédentes. La set-list du groupe (bien que sa structure conserve quelques fondations) change régulièrement au fil des années, et c’est à souligner.
Je repars avec de nombreux souvenirs dans la tête mais également dans ma valise. J’ai pris plaisir à aller au merchandising pour en ramener une casquette #StudyPeace signée par Marlon. Sans oublier l’album de Tito et une affiche souvenir de ce concert à Santander. Mais c’est surtout une rencontre avec le groupe juste après le show qui restera inoubliable. L’occasion d’offrir le livre « Let’s Make HIStory » à chacun des frères et de leur présenter en expliquant le projet, le temps d’une photo-souvenir. Jermaine, Marlon, Jackie et Tito ont également fait l’HIStoire, alors je leur suis reconnaissant de la prolonger un peu dans la mesure du possible…
Pour en savoir plus, je vous conseille « The Jacksons : Musicographie 1976-1989 », mon 2ème ouvrage, paru en 2014, consacré à la fabuleuse épopée du groupe au sein du label Epic Records/CBS.