Je suis rentré en contact avec Kathleen Wakefield par l’intermédiaire de Facebook. J’avais le souhait d’en apprendre davantage sur son parcours et ses travaux en tant que parolière, d’autant qu’elle avait travaillé de façon prolifique chez Motown. Chose pas si fréquente, sa collaboration avec les frères Jackson s’est prolongée jusqu’aux années 80. Au final, cet entretien était loin d’être une torture si je dois faire allusion à une chanson de son répertoire que j’affectionne. Merci à elle pour ce partage!
Tout d’abord, pourriez-vous nous expliquer comment est née cette passion de l’écriture, aussi bien pour les chansons que pour les livres ?
Cela m’est tombé dessus car je n’y avais jamais songé auparavant. Très jeune, j’ai commencé à lire beaucoup et je me suis prise de passion pour les arts, les artistes et les œuvres de fiction. Aujourd’hui, je suis toujours aussi fascinée par les histoires, l’art… J’ai grandi avec les chansons, la radio était toujours allumée et la musique toujours présente, mais je ne m’en suis jamais emparée personnellement : tout cela a participé à ma conscience du monde extérieur.
Quel a été votre parcours, et les moments importants, pour devenir parolière et confectionner tellement de chansons dans votre discographie, notamment pour Motown ?
De nouveau, c’est arrivé par hasard quand je me suis retrouvée danseuse, sans l’avoir prévu, par l’intermédiaire de ma meilleure amie qui était elle-même danseuse. Elle avait été la petite amie d’Elvis et était ainsi devenue amie avec de nombreux musiciens. Nous étions bien mignonnes et subitement, à Détroit, dans le Michigan, on nous a écrit une chanson qui a été enregistrée et a fait un tube, « The Prince of my Dreams » ! Par suite, alors que j’étais actrice et sous contrat avec la 20th Century Fox pour leur programme d’art dramatique, une amie m’a parlé de quelqu’un qui venait de perdre son partenaire d’écriture, un parolier. Il s’agissait d’Annette Tucker (qui a écrit « I Had Too Much To Dream Last Night ») et nous avons commencé à travailler ensemble, et immédiatement écrit pour Don Costa, qui nous a mené à Frank Sinatra, Patti Page, Trini Lopez etc… Puis, nous avons aidé une jeune écrivaine qui cherchait à obtenir un contrat avec la Motown. Et lorsqu’on nous a donné rendez-vous avec Berry Gordy, Frank Wilson et quelques autres, ils nous ont embauchées.
Avez-vous forcément un thème et une musique pour vous inspirer les paroles, ou bien parfois vous avez débuté une chanson par la phase d’écriture ?
Pour moi, ça commençait toujours par la mélodie du compositeur et une cassette que j’emportais chez moi pour travailler, car j’avais aussi une famille. J’ai toujours utilisé l’expression « sous la dictée » pour décrire ce que je faisais car j’écrivais ce que la musique me « disait d’écrire. J’écoutais et j’écrivais.
En tant que fan de Michael Jackson et des Jackson 5, j’ai forcément apprécié votre composition « I Can’t Quit Your Love » de l’album « Skywriter ». Pouvez-vous nous faire partager le processus créatif de cette chanson initialement écrite pour les Four Tops ?
Ce qu’il y a de marrant avec cette chanson, c’est que j’avais commencé à écrire un refrain complètement différent, à des kilomètres de ce qui était attendu, en fait. Puis, j’ai réalisé que c’était beaucoup trop ésotérique (un domaine vers lequel je glissais facilement) et qu’il fallait simplifier les choses de manière radicale. J’écrivais avec Frank Wilson et Leonard Caston qui sont tous les deux des génies, à mon avis, et toujours très inspirants. Il y a eu des écrivains, célèbres et plus encore, dont le travail ne me faisait ni chaud, ni froid, mais j’ai toujours été inspirée par Leonard Caston et Frank Wilson.
Etiez-vous en contact avec les artistes pour lesquels vous écriviez ou votre inspiration venait d’un travail de votre côté ?
Les deux étaient possibles. J’écrivais chez moi, mais j’allais aussi en studio avec les artistes, et parfois, je ne rentrais à la maison que très tôt au petit matin.
En consultant votre discographie, j’ai remarqué que c’est avec Jermaine Jackson que vous avez été le plus prolifique. Est-ce que cela vient d’une forte complicité professionnelle entre vous deux ?
Avec Jermaine, en réalité, c’était une collaboration à distance. Nous étions en contact et il me transmettait une bande sur laquelle travailler. Une fois que c’était fait, je la lui renvoyais. Il était extrêmement occupé à l’époque mais il savait qu’il pouvait compter sur moi. Donc, le travail se faisait rapidement et plutôt à distance.
Vous avez également collaboré avec Jackie Jackson pour la chanson « Torture », un des meilleurs titres de l’album « Victory », avec ce duo entre Michael et Jermaine. Comment avez-vous été contactée pour ce projet ? Pouvez-vous nous faire partager le processus créatif de ce fabuleux hit à l’ambiance si particulière ?
Jackie et moi, plus quelques autres auteurs, nous nous étions réunis chez Jackie et nous lancions des idées à tous sujets, et à un moment, il m’a fait une copie de sa cassette de « Torture », le morceau qu’il avait composé. Je pense que mon histoire l’a choqué quand je suis revenue vers lui avec des paroles, mais ça nous plaisait bien quand même et au final, aucun mot n’a été changé ce qui m’a un peu surprise. Les paroles de « Torture » commencent comme ça : « c’était dans une rue malfamée, à tel point que même l’enfer la reniait », et plus loin, « je suis ici pour servir tous les maîtres ». C’est une histoire légère qui parle d’elle-même, mais avec une touche d’humour et de provocation. Michael est venu en studio pour l’enregistrement, et c’était chouette de le revoir.
A la même période, vous travaillez avec Michael Jackson et Paul Anka sur le titre « Love Never Felt So Good » qui figurera finalement sur l’album de Johnny Mathis, « A Special Part Of Me ». Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette chanson et comment vous est venue l’inspiration ?
J’étais inspirée parce que j’envisageais que Michael l’enregistre, et évidemment, écrire avec Michael à l’esprit, c’était forcément une inspiration. Comme vous pouvez l’imaginer, je n’écris pas différentes versions pour les chansons. Quiconque dirait le contraire ne serait probablement pas très honnête, et surtout loin de la vérité, sans aucune connaissance de l’histoire de la chanson ni de ses paroles.
Quelle place tient la famille Jackson dans votre discographie ? Est-ce que ce sont des personnages singuliers qui ne peuvent qu’être inspirants pour l’écriture de chansons ?
Je ne les connaissais pas forcément en tant que famille, et je n’ai jamais eu d’opinion à leur sujet de quelque manière que ce soit. Comme tout un chacun, j’ai assisté au phénomène qu’était Michael. Sincèrement, j’étais occupée avec d’autres artistes et je n’ai jamais eu ou pris le temps d’y réfléchir plus que ça.
Alors que les Jackson 5 signifiaient tellement pour tant de personnes, en ce qui me concerne, je pense que je réalise seulement qu’ils étaient un cyclone qui a traversé la Motown pour aller vers des choses plus grandes encore, en particulier Michael. Avant et après la Motown, j’ai travaillé avec de nombreux artistes talentueux et merveilleux, ainsi que des auteurs, des acteurs etc… et je ne suis jamais posée en tant que parolière. Il y a un dicton au sujet de New York qui dit : « N’y allez pas si vous n’êtes pas prêt à ce que votre vie change complètement. » La même chose vaut pour Los Angeles. A la Motown, j’ai travaillé pour la plupart avec les très talentueux Frank Wilson et Leonard Caston, pour les Temptations, les Four Tops, les Supremes et les Jackson 5 qui, comme je l’ai dit, étaient un phénomène qui a explosé principalement grâce au producteur Hal David, à mon avis, et a continué ensuite sa route. Au milieu de tout ça, il y a eu quelques chansons enregistrées à l’époque qui ne sont jamais sorties. Après la Motown, j’ai travaillé avec succès avec les Jacksons et nous sommes restés amis, mais c’était une période très dense et la carrière de Michael, et Michael lui-même, sont devenus phénoménaux, comme tout le monde le sait. Et malgré le fait que nous nous croisions de temps à autre en studio, nos trajectoires ont dévié, pour ainsi dire.
Y’a-t-il d’autres collaborations et titres à votre actif que vous aimeriez ajouter pour que cette entrevue soit complète ?
Je me suis toujours dit qu’il y avait 3 compositeurs que je considérais comme des génies : Leonard Caston, William’ Smitty’ Smith et Michel Colombier avec lequel j’ai écrit les paroles de l’album « Old Fool Back On Earth », et aussi pour des films. ‘Smitty’ était un compositeur et musicien qui avait travaillé avec Bob Dylan. Au passage, je n’ai jamais réussi à écrire quoi que ce soit d’acceptable pour Bob Dylan. Je me revois descendre l’allée de sa maison à Malibu, et lui venir m’accueillir avec sa veste à franges. J’en rigole aujourd’hui mais, assise à ses côtés chez lui, je n’ai jamais pu écrire un seul mot. Allez comprendre.
Quelle est votre actualité en tant qu’auteure aujourd’hui ?
A un moment, dans l’écriture de paroles, j’ai fini par me prendre la tête entre les mains de désespoir car tout a commencé à ressembler à la même chanson, encore et encore, et j’ai compris que je ne pouvais plus faire ça. Récemment, j’ai rêvé une phrase au sujet d’une petite fille perdue, et lorsque j’ai écrit exactement ce que la phrase disait, c’est devenu une nouvelle, « Snaketown ». Depuis, mis à part pour aider quelques amis, et également dans l’optique d’une bande-son pour « Snaketown », je n’écris plus du tout de paroles.