Le 8 février 2020
Je n’étais encore jamais allé au New Morning. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir entendu parler de cette mythique salle parisienne. Je pense notamment à un album live de Jean-Jacques Goldman, même si les nombreux aftershows de Prince ont également forgé la légende de ce fameux club de jazz. Ce cadre intimiste, ne dépassant pas 400 personnes, dégage une atmosphère particulière avec ce sentiment de toucher l’artiste du bout des doigts. C’est ainsi que lorsque j’ai appris la venue de Dexter Wansel en ces lieux, je n’ai pas hésité une seule seconde à faire le déplacement.
Mes feuilletages de livrets d’album ont contribué à me faire découvrir ses nombreux travaux et à les apprécier. En effet, j’ai toujours trouvé intéressant le contexte de sa rencontre avec Michael Jackson et ses frères. Il est de notoriété publique que les Jackson 5 ont quitté Motown pour pouvoir enfin écrire et produire leurs propres chansons. En signant chez Epic Records, la formation renommée The Jacksons commença cette émancipation artistique sous le regard bienveillant de Gamble et Huff. Suite à la demande d’Epic, le tandem à la tête de Philadelphia International Records produisait alors un premier album intitulé sobrement « The Jacksons » en 1976 (comme quoi, cette année-là ne se résumait pas seulement à Rocky Balboa dans l’état de Pennsylvanie !). Dans leur giron, le claviériste Dexter Wansel fut l’un des principaux artisans de ce disque. Parmi ses contributions, on peut citer les titres « Living Together » et surtout « Keep On Dancing » qu’il a composé, arrangé et produit de façon autonome. Toutefois, on peut également saluer un travail d’équipe avec Gamble et Huff dans les productions de « Blues Away » et « Style Of Life ». Je saisis l’importance de ces deux chansons car il s’agit là des premières compositions de Michael Jackson à paraitre sur un support officiel. Elles concrétisent ce souhait pour l’artiste de quitter Motown, comme énoncé plus haut. Une étape importante pour celui qui deviendra le Roi de la Pop dont Dexter a été l’un des principaux protagonistes. En effet, dans son rôle d’arrangeur, il apporte son talent et expérience à ces deux chansons et guide le jeune Michael dans sa nouvelle fonction. Ce dernier a toujours su s’imprégner de ses expériences et rencontres en studio pour se forger, et celles à Philadelphie avec Wansel font partie intégrante de son parcours.
Je sais donc l’importance du personnage et je saisis cette opportunité de le découvrir sur une scène en France. Au-delà de son apport dans l’univers Jackson, c’est également l’occasion d’entendre l’un des représentants du Philadelphia Sound. Dans ce cadre intimiste du New Morning, il est bon de se rappeler que les bons concerts ne se vivent pas forcément dans les stades et les grandes salles. Ainsi, je profite d’une des places assises sur le côté gauche, si proche du clavier de Dexter. Accompagné de neuf musiciens (dont son camarade de Philadelphie, le chanteur Damon Williams), l’artiste nous propose un voyage dans le temps. Le ton est donné dès l’ouverture avec « TSOP (The Sound Of Philadelphia) » qui nous ramène dans les 70s tel un hymne du label Philadelphia International Records. Cet instrumental est connu pour avoir été le générique de l’émission Soul Train de Don Cornelius mais c’est également le morceau le plus emblématique de MFSB, une formation regroupant toute l’équipe de musiciens de Gamble et Huff. On peut ainsi analyser cette écoute comme une leçon d’histoire et ressentir la richesse musicale du personnage qui a croisé le chemin d’artistes tels que Billy Paul, Teddy Pendergrass ou les O’Jays. A ce sujet, Dexter Wansel s’adresse au public entre les titres en disant à chacun de faire appel à sa mémoire. Je suis alors conquis par ses programmations de synthétiseur qui me font penser instinctivement au pont de « Don’t Stop ‘Til You Get Enough » (désolé, on ne se refait pas…) Voici le représentant et artisan d’une époque où il a influé sur des styles musicaux comme la Soul, le Funk et le Disco. Dans sa setlist, Dexter joue bien évidemment des titres de ses albums solos comme « Life Of Mars », « Theme From Planets » ou « Sweetest Pain ». Cependant, il ajoute également au programme d’autres éléments de sa riche discographie. Toutes ces chansons composées et produites par ses soins pour d’autres artistes font bien partie de son univers. Le plus important était de faire de la bonne musique et Dexter Wansel est le parfait exemple du bon soldat à son service. En témoigne la performance de « Mysteries Of The World », autre titre du répertoire de MFSB (Mother Father Sister Brother, je ne l’avais pas précisé !). L’occasion de dire qu’il a su apporter sa touche personnelle dans un collectif pourtant bien huilé comme celui de Gamble et Huff. Tout au long de la soirée, il offre une rythmique voulant combiner les instruments à cordes avec ses nappes de synthétiseur. Parfois, quelques soupçons de cuivre complètent son idéale mixture. Dans les programmations de son clavier, il sait se démarquer au point que ses solos font vibrer le public. C’est bien lui le patron, capable de diriger ses musiciens d’un seul geste ou d’un simpleregard. Nous sommes quelques centaines de privilégiés à revivre sur scène ce qui a été accompli il y a plus de quatre décennies. Nous pouvons entendre d’autres titres comme « Only You » qu’il avait arrangé pour Teddy Pendergrass, « Night Over Egypt » pour The Jones Girls, sans oublier le sublime « If Only We Knew » pour Patti Labelle (avec Cynthia Biggs, sa partenaire pour de nombreux titres, que je me devais de citer). Cela transpire la musique sur scène, la passion, et le talent mêlé au plaisir de jouer offre un résultat plus que satisfaisant ainsi que le sentiment qu’il fallait être là, car c’est un homme qui a influencé la musique que j’aime, tout simplement.
Une bien belle soirée qui restera dans ma mémoire avec un entracte qui m’a permis de consommer un Coca Zéro au bar. Les petits détails qui peuvent paraitre insignifiants comme celui-ci peuvent me conforter dans ce sentiment d’événement apprécié. Cependant, c’est surtout ma rencontre avec le principal intéressé qui m’a apporté une joie immense. Cela s’est passé avant le concert, en fin d’après-midi. Je remercie à ce propos l’équipe du New Morning qui a été très sympathique et accueillante en cette occasion. J’ai senti une équipe de passionnés pour le plaisir de partager de la musique. C’est dans ce même état d’esprit que je souhaitais offrir mon livre « Let’s Make HIStory » à Dexter Wansel. Je l’ai senti avoir apprécié mon geste au point de feuilleter les pages et de me féliciter. Touché par ses mots, je lui ai bien évidemment demandé une dédicace pour ses disques produits avec la fratrie Jackson. Il s’est exécuté non sans relire les crédits et se souvenir du bon vieux temps. Le moment opportun de lui dire que sa chanson « Jump For Joy » était ma favorite de l’album « Goin’ Places » (le second album des Jacksons produit à Philadelphie en 1977). Il m’a partagé cette volonté de donner des ondes positives en musique et j’ai répondu que j’y avais été sensible. Je continuerai de l’écouter pour puiser dans cette joie de vivre. Mais elle a désormais une saveur particulière après avoir croisé le chemin de son auteur. Nous nous prenons dans les bras pour nous saluer et ce 8 février 2020 restera dans ma mémoire. Je le remercie d’avoir pris quelques minutes de son temps pour moi. Elles m’ont été précieuses. J’ai vu un grand artiste sur scène mais également un homme d’une bonté rare en coulisses. L’univers de Michael Jackson m’a guidé vers de bonnes personnes et je continuerai à me focaliser sur le positif : au New Morning, j’ai été encouragé à persévérer dans cette voie.