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Entrevues

Dexter Wansel

 

La venue de Dexter Wansel au New Morning à Paris reste mon dernier concert vécu avant la crise du Covid. Outre, la performance scénique, j’avais apprécié ma rencontre avec le musicien et je souhaitais, bien évidemment garder contact avec lui. Nous pourrions ainsi évoquer sa collaboration avec les Jacksons sous le giron de Philadelphia International Records, le temps de deux albums. Dans son rôle de producteur, compositeur et arrangeur dans la firme de Gamble et Huff, Dexter a été un élément important dans l’émancipation artistique du groupe qui venait de quitter Motown. Retour à Philadelphie en 1976-77 avec Dexter Wansel et ses souvenirs qui font partie de l’HIStoire.

Comment est venue cette passion de la musique, au point d’en faire votre métier, et cet intérêt pour le synthétiseur et ses programmations novatrices pour l’époque ?

J’ai commencé comme coursier / garçon à tout faire dans les coulisses du Uptown Theater de Philadelphie (l’équivalent de l’Apollo à New York) où j’ai rencontré de nombreux musiciens et chanteurs qui m’ont inspiré. Après l’armée, j’ai commencé à passer des auditions pour des sessions de piano chez Sigma Sound Studios en 1972, et peu de temps après, j’y programmais leur synthétiseur Putney. J’ai rencontré Al Perlman, le créateur du synthétiseur Arp, et il m’a offert un Arp 2600 sur lequel je me suis mis à jouer lors de sessions d’enregistrement.

Comment avez-vous eu l’opportunité de rejoindre Kenneth Gamble et Leon Huff à Philadelphia Records ?

Chez Sigma, j’ai rencontré Karl et Roland Chambers qui étaient membres du groupe de musiciens de sessions MFSB (« Mother Father Sister and Brother ») à l’époque et m’ont demandé de rejoindre leur groupe Yellow Sunshine. Nous avons enregistré un album pour Gamble et Huff chez Philadelphia International Records. C’est comme ça que je les ai connus.

D’une manière générale, comment Gamble et Huff vous présentaient-ils des projets d’albums, en faisant le choix de qui serait impliqué sur telle ou telle chanson, entre les différents arrangeurs, compositeurs et producteurs ?

J’ai d’abord commencé à leur soumettre des chansons et en 1975, c’est moi qui écrivais les arrangements, les chansons, et réalisais la production pour leurs artistes tels que MFSB (“When Your Love Is Gone”), Billy Paul (“Billy’s Back Home”), Dee Dee Sharp etc…

Lorsque les Jacksons ont rejoint le label, nous avons tout de suite créé un lien. Nous passions beaucoup de temps ensemble et apprenions à nous connaître. Nous allions souvent faire du cheval ou encore au cinéma ensemble. Je suis devenu proche de Tito et Michael, en particulier. Ils me demandaient toujours d’écrire les arrangements de leurs morceaux et de les aider pour les produire. Michael me sollicitait pour que je lui donne des idées et je l’aidais à innover en matière d’approches vocales.

Avez-vous souvenir de la genèse du titre « Keep On Dancing » et des sessions en studio avec les frères Jackson ?

Cela demandait un effort de créer un morceau qui devait être une pièce maîtresse, une chanson avec des changements de rythmes et d’approches. Mais ça a fonctionné. Je sais qu’ils ont conservé « Keep On Dancing » sur leurs concerts, même après la sortie d’ « Off The Wall ». Je pense que ça veut tout dire.

Le choix de partager le lead vocal entre Michael et Jackie sur le titre « Living Together » était-il l’un de vos choix ? Comme si ce titre avait été écrit en pensant aux frères Jackson, telle une manière de raconter leur histoire.

Oui, ce titre était une chanson à message qu’ils souhaitaient délivrer au monde. Vous savez, dans la vie, il y a des épreuves auxquelles il faut faire face. Cette chanson est une tentative de rassembler les gens. Michael a d’ailleurs utilisé l’un de ses vers comme phrase d’introduction de son livre Moonwalker. Et oui, c’était mon choix d’avoir à la fois Michael et Jackie sur « Living Together ». J’ai demandé à Jackie d’ajouter sa voix à celle de Michael sur le lead.

Pour la première fois, après le départ de Motown, les frères Jackson avaient le droit de jouer de leurs instruments en studio et de composer leurs chansons. Les avez-vous aidés dans cette nouvelle démarche ?

Tout à fait ! A chaque fois qu’il était en studio avec moi, Tito était très hyper-excité de jouer sur ses disques, ce que la Motown ne lui avait jamais permis de faire. Je pense que ces deux albums chez Philadelphia International Records les ont aidés dans cette transition entre la Motown et leurs propres projets, en particulier compte tenu du fait que la voix de Michael évoluait à cette période. Je sentais bien qu’ils aimaient ce que je faisais, et moi, j’aimais aussi ce qu’ils faisaient.

Je disais tout le temps à Michael que c’était le bon moment pour lui de s’impliquer dans le processus créatif, puisque sa voix avait mué donc, et ils réfléchissaient tous à la manière dont ils allaient pouvoir évoluer pendant cette période de transition de leurs vies. J’étais vraiment très heureux qu’ils me sollicitent constamment pour travailler avec eux.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du titre « Jump For Joy » et cette envie de partager des ondes positives ?

« Jump for Joy » est une chanson qui parle de célébrer la vie d’une manière générale, et que j’ai écrite avec Cynthia Biggs pour les Jacksons qui l’aimaient beaucoup. Nous cherchions un message pour rassembler les gens avec une philosophie simple. Les Jacksons l’ont aimé dès que je le leur ai joué et ils ont tout de suite voulu l’enregistrer. Comme on peut le voir sur une vidéo que vous m’avez envoyé, Gamble et Huff sont venus avec un journaliste qui a interviewé les Jacksons et nous a filmé ensemble en studio. Ha ha ha !

Sur ce titre, comme sur les précédents cités, j’apprécie vos programmations de synthétiseur. Pour moi, cela reflète totalement votre production qui diffère des chansons de Gamble et Huff. Partagez-vous mon ressenti au sujet de votre identité propre chez Philadelphia Records ?

Billy Paul m’a dit un jour que mon travail sur les synthétiseurs m’aidait à me différencier des autres. A cette époque-là, j’étais le seul à faire de la programmation à Philadelphie. Dès 1972, je donnais un coup de main pour programmer le synthétiseur Putney chez Sigma, tout en utilisant ceux de Bob Moog lorsqu’il venait en studio, pour créer des sons synthétiques. Al Perlman, le créateur du synthétiseur Arp, me fit livrer un Arp 2600V en 1974, et à part de ce moment-là, je me mis à programmer et jouer des sons synthétiques sur la majorité des productions que je réalisais.

Au final, qu’est-ce que vous retenez de cette collaboration entre vous et les frères Jackson ? Est-ce un fait marquant dans votre carrière ?

Evidemment, c’est un élément majeur de ma carrière, bien qu’un peu difficile, car il fallait inventer de nouvelles approches vocales pour Michael dont la voix se modifiait à ce moment-là. Je me souviendrai toujours de ces moments avec mes amis. Michael me manque…