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« Michael » par Christophe Boulmé

(Harper Collins, 2019)

L’objet est enfin entre mes mains et à cet instant, j’ai envie de prendre mon temps pour l’apprécier, en tournant doucement les pages. Ce nouveau livre de Christophe Boulmé se doit d’être savouré à sa juste valeur, tant il est le résultat d’une part importante de son vécu, à l’image de ce texte qui nous plonge dans les impressions et souvenirs de l’auteur. Dans ce rôle de narrateur, il nous propose forcément une vision plus personnelle et différente de nos souvenirs liés à Black & White, le magazine français dédié au Roi de la Pop durant les années 90. Une belle aventure dans laquelle Christophe était le directeur artistique, aux côtés du rédacteur en chef Laurent Hopman et de Julien Derain, le directeur de la publication. Il en résulta pour cette équipe une proximité avec le chanteur qui avait approuvé et soutenu leur projet. Pour les nostalgiques, de nombreuses photos replongeront les gens de mon âge dans l’ambiance du magazine, mais dans l’ensemble, les nombreux inédits sont là pour nous convaincre que cet ouvrage met avant tout en évidence le travail et l’univers de Christophe. Toutes ces images reflètent le témoignage d’une collaboration tellement à part dans l’univers de Michael Jackson, et c’est un plaisir de parcourir ce livre pour mieux le déchiffrer.

Mais au-delà d’une mise en page de qualité mettant en valeur tout ce travail accompli, nous en apprenons davantage sur le parcours personnel de l’auteur. Humble et volontairement en retrait, il n’avait jamais communiqué sur des aspects plus intimes tels que son parcours personnel et son vécu de fan. Voilà le moment opportun de les parcourir en tournant les pages, comme pour mieux revivre cette communion entre deux artistes qui n’avaient pas besoin de parler la même langue pour se comprendre. D’une manière plus générale, cet ouvrage nous offre une sorte de Pass Backstage pour nous plonger dans les archives d’un artiste qui ne demande qu’à les partager.

Je reste fasciné par les petits détails qui forgent une trajectoire et Michael Jackson, lui-même, a chanté que chaque jour crée notre HIStoire. Et dès les premières pages, nous comprenons que Christophe, par son parcours, ne pouvait rester insensible au talent du Roi de la Pop. Il a lui-même cette flamme artistique qui sommeille en lui, alors qu’il reste un garçon assez introverti et réservé. Nous découvrons sa passion pour le dessin et la photo depuis qu’il est tout jeune, tout en restant dans sa bulle. C’est dans ce schéma, plein de liberté, qu’il sera toujours le plus à l’aise pour s’exprimer, et c’est une clé importante de cette belle histoire entre ces deux artistes.

Dans ce vécu de fan, loin de se douter qu’on pourrait l’assimiler à un pionnier, les images et illustrations de cette époque pré-HIStorique sont nombreuses, mais je fais ici le choix de revenir sur ce fameux dessin qui lui a permis de rejoindre l’équipe de Black & White, d’autant qu’il le dévoile ici dans son intégralité. Dans cette démarche de l’époque, il souhaite alors montrer autre chose et évoque ce dessin comme un fantasme sur papier, imaginant le chanteur fin et sec mais un minimum baraqué. Une façon de l’humaniser avec une image moins lisse qu’à l’accoutumée sans ses nombreux artifices habituels. Ce croquis est à l’image du travail de Christophe, un fan en totale liberté, au point d’ignorer certains codes jacksoniens établis que le chanteur souhaite alors maitriser dans sa communication.

L’HIStoire continue et se poursuit au fil des pages, et les travaux d’un fan finissent par apparaitre dans un livret d’album. Cependant, il est intéressant de ressentir que cette nouvelle proximité avec son idole n’avait en rien modifié le comportement de Christophe. Ce dernier faisait les choses pour vivre intensément sa passion. Le graphiste n’avait pas changé, il restait cet admirateur qui puisait son inspiration dans l’univers Jackson. Il n’y avait pas de calcul chez lui, il était toujours cette même personne qui dessinait Michael dans son coin, juste pour son plaisir.

Toutefois, les compétences de Christophe ne se limitent pas à ses illustrations, et cette polyvalence dans la photographie reste un des éléments fascinants de sa palette. Ainsi, dans ce bel ouvrage, nous pouvons (re)découvrir de nombreux clichés du Roi de la Pop s’exprimant sur une scène. Certains classiques qui nous ont accompagnés dans notre vécu de fan se devaient d’être là, mais Christophe a su ajouter de nombreuses pièces de ses archives pour parvenir à nous surprendre encore au sujet d’un personnage que nous connaissons pourtant si bien.
Lors du Dangerous Tour, entre les coups de coudes et la fosse aux lions de Rotterdam, et la quiétude au pays du Soleil Levant, il ne s’est écoulé que quelques mois. De cette première expérience avec ce concert débuté en plein jour, à la fin du mois de juin, jusqu’à ce 31 décembre 1992, on ressent le chemin parcouru dont les World Music Awards (cérémonie à Monaco), le HIStory Tour et autres Wetten Dass (célèbre émission allemande) seront la confirmation. Toutes ces images défilent en tournant les pages avec cette prise de conscience de découvrir un artiste muni d’un appareil photo, au service d’un autre en mouvement sur une scène. La sensibilité de l’auteur fait qu’il a forcément une approche différente de ses confrères, car pour eux, que la photo soit belle ou non, elle reste vendeuse. Certaines photos ratées pourraient servir les tabloïds et autres paparazzis, et trouveraient toujours preneur. Christophe était dans un autre état d’esprit, une démarche qui allait servir l’image de Michael Jackson : son but était que Michael soit sublime au point d’être à son service et totalement honoré de cette mission. Celle-ci se revit totalement dans ce livre, et c’est une autre des clés de notre plaisir à revivre cette expérience dans la fosse pendant les concerts.

Dans ce témoignage, nous pouvons également ressentir l’importance de la proximité entre Bob Jones (le vice-président de la firme MJJ Productions et sorte de bras droit du chanteur) et l’équipe de Black & White. On discerne mieux l’importance du personnage dans l’entourage du Roi de la Pop et nous en devenons reconnaissants tellement il a œuvré dans cette relation avec Laurent, Julien et Christophe. Je ne rentrerai pas dans les détails liés aux chapitres évoquant « Ghosts » et le tournage de « Stranger In Moscow ». Christophe, par son témoignage, se livre beaucoup, aussi par le texte et les images (dont une grande partie d’inédites), et c’est l’un des moments forts de ce livre. Le meilleur moyen de revivre ce tournage est de lire ce chapitre. Cependant, je n’oublierai pas cette phrase de Bob Jones adressée à Laurent, Julien et Christophe : « Si vous êtes là, c’est que vous faites du bon boulot ». Tout est dit…
N’oublions pas que c’est en cette période que les travaux de Christophe sont retenus pour des pochettes de single. Un virage important que l’auteur nous relate avec beaucoup de détails au point de ressentir toute son émotion du moment.

D’une façon plus générale, l’auteur s’exprime dans une totale sincérité au point de nous faire partager son ressenti sur les années 2000 avec un peu moins d’enthousiasme. Ce cri du cœur est touchant d’autant qu’on ressent une tristesse non feinte, comme si les périodes « Dangerous » et « HIStory » étaient celles où il avait le sentiment que Michael Jackson était à son zénith. Il est cependant intéressant de décrypter l’analyse du photographe sur cette période compliquée pour le Roi de la Pop. Un peu comme si le concert Michael Jackson and Friends du 27 juin 1999 au Stade Olympique de Munich marquait la fin d’une ère et des temps dorés. A ce sujet, j’ai beaucoup apprécié les photos inédites de ce concert présentes dans le livre. Le photographe semble être avec le public dans la fosse et apporte une immersion de ce que représente la magie de voir l’artiste sur une scène. Peut-être que j’affectionne également ces clichés du fait que c’est ce jour-là que j’ai vu Christophe pour la première fois. J’avais remarqué sa belle veste du HIStory Tour mais je n’avais pas osé lui parler : je ne pensais pas le faire un jour et je suis content de l’avoir fait depuis, mais j’y reviendrai dans quelques lignes.

En cette année 2019, délicate pour les fans de Michael Jackson, il est donc important de saluer cette parution. Il s’agit là d’un hommage à la hauteur de l’univers du chanteur, et nous ne pouvons que nous réjouir d’enfin ressentir toutes ces ondes positives au fil des pages.

D’un point de vue plus personnel, je suis fier d’avoir contribué à l’avant-première de ce livre au MJ MusicDay à Lyon avec l’association On the Line. Le but de notre événement est de recevoir des collaborateurs et ça aurait été une impardonnable faute de ne pas inviter Christophe Boulmé pour l’occasion, pour la parution de ce livre. C’était une fierté de partager la scène avec lui au sujet de ce projet, et je lui serai éternellement reconnaissant pour sa confiance. Le voir découvrir son ouvrage et ressentir toute son émotion en ce jour était quelque chose de très poignant et les gens présents savent de quoi je parle.

Dans cette revue, je ne compte pas me mettre en avant, mais j’ai une certaine affection pour ce projet de livre car Christophe m’a parfois consulté dans son élaboration, et je suis très touché d’être remercié aux cotés de Laurent Hopman, Julien Derain et surtout Michael Jackson. Je n’aurais jamais imaginé une chose pareille et je ne l’imagine toujours pas…

Je te remercie infiniment Christophe et je garde en mémoire ce souvenir que tu m’as raconté il y a quelques mois. D’autant que c’est en lien avec un visuel présent dans le livre, un peu comme si chaque photo ou illustration avait sa propre histoire tellement ton parcours est riche et mérite qu’on s’y attarde. Non sans saluer ton bel hommage à Michael, j’aimerais finir cette revue avec tes paroles, car elles m’ont touché, si tu me le permets. Elles expriment tellement ta bienveillance, ton style écorché vif et ta sensibilité d’artiste. Je ne les oublierai jamais.

« Mon meilleur ami, qui s’appelait Daniel Corrodera, était graphiste comme moi, mais dans un autre domaine, sur Le Mans. Il faisait de l’habillage de réverbères et des dessins industriels. Un jour, je l’ai appelé à l’aide car j’avais une idée et je savais qu’il était très bon et meilleur que moi en aérographe et en peinture. Je lui parle de ce choix de refaire l’affiche de E.T. mais avec la main de Michael Jackson. Tout a démarré comme ça et il l’a réalisée. C’est ainsi que cette œuvre a été publiée dans Black & White. Le service de communication de Michael a souhaité l’utiliser et cela a fait le mois de Janvier du calendrier officiel Danilo de 1995. Le jour où on a appris ça, j’ai appelé mon pote pour lui annoncer l’information mais il est mort le jour même, renversé par une moto. Il a peut-être roulé comme un dingue sur son vélo, du fait de l’euphorie de la nouvelle…

C’est peut-être la collaboration de ma carrière la plus cohérente, celle qui a le mieux fonctionné. C’est un putain de souvenir, une sacré fierté… Quand je suis allé au Mans récupérer l’œuvre, j’étais tellement fier de lui car c’est tellement réussi… »

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