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« Sonic Fantasy » de Marcos Cabotà

Jeudi 14 avril 2022

Jeudi 14 avril 2022, le soleil est au rendez-vous en région parisienne au point de déjeuner en terrasse pour la première fois de l’année avec le risque du coup de soleil qui va avec. Pourtant, en ce début d’après-midi, malgré la météo, je n’ai qu’une envie : celle de m’enfermer. Ce choix peut surprendre mais je dois préciser qu’il est lié à l’album « Thriller » dont les premières sessions en studio se sont déroulées 40 ans plus tôt, jour pour jour… Vous êtes sans doute épatés à nouveau par ma culture légendaire au niveau des dates, mais cette fois, je n’ai aucun mérite.

J’ai seulement vu la bande-annonce du documentaire « Sonic Fantasy » du réalisateur espagnol Marcos Cabotá qui mentionne cette date très justement. Ce projet dédié à l’album « Thriller », ainsi qu’à Bruce Swedien et Michael Jackson, attire mon attention depuis qu’il a été annoncé. Il est vrai que celui-ci fait suite au moyen-métrage « King Of Sound » diffusé exclusivement lors de la première édition du MJ MusicDay à Lille en 2017, en présence de son réalisateur Gareth Maynard. Non seulement le public avait eu la primeur de découvrir son film, mais il avait également apprécié l’initiative de Gareth de téléphoner à Bruce pour quelques minutes qui resteront gravées dans le cœur de chaque spectateur. J’étais satisfait d’avoir invité Gareth à présenter « King Of Sound » car cette projection semblait s’annoncer sans suite. Dans ce contexte, j’étais loin de m’imaginer que cette diffusion à Lille puisse avoir tant d’importance. En effet, et fort heureusement, Marcos Cabotá, réalisateur du documentaire « I am Your Father », se trouvait dans la salle pour assister à l’événement en tant que fan de Michael Jackson. C’est ainsi qu’il proposa ensuite à Gareth de contacter Bruce Swedien pour un nouveau documentaire dont il serait producteur associé. C’est ainsi qu’est né « Sonic Fantasy », et forcément j’avais hâte de découvrir ce qui en résulterait, comme tout projet lié à l’univers musical de Michael Jackson.

Je dois admettre que ma découverte du film se déroule dans un contexte que je n’avais pas imaginé, bien au-delà de mes attentes. Jusqu’ici, je ne connaissais pas personnellement Marcos Cabotá mais la première projection du film dans un Festival à Majorque annonçait que les choses se décantaient au sujet de sa parution. Bruce Swedien nous avait quittés l’année précédente, et cette perte immense donnait à « Sonic Fantasy » un statut de dernier témoignage tel un hommage qui ne pouvait qu’être rempli d’émotions. C’est donc naturellement que Marcos et moi avons fini par entrer en contact afin qu’il puisse être invité par l’association On The Line pour la projection du film. Nous avons convenu du mois de juin pour une avant-première dans un cinéma parisien suivie d’une autre projection lors de l’événement Making HIStory with MJ aux Dierks Studios en Allemagne, en compagnie de Brad Buxer et Michael Prince. Ces deux derniers font partie des protagonistes du documentaire et le fait que Brad a composé la musique est de notoriété publique depuis le début du projet. Leur venue à Paris en avril était donc une belle opportunité pour Marcos de leur faire découvrir le film. Voilà comment ce jeudi 14 avril 2022, nous sommes conviés avec Laetitia, dans une chambre d’hôtel, à une projection privée organisée par le réalisateur en compagnie de Brad et Michael. Je ne peux que me sentir privilégié de partager cet instant avec eux, mais ce n’est pas le moment de me laisser envahir par l’émotion car les lumières s’éteignent et le film démarre.

Je devrais plutôt dire que le voyage dans le temps commence car il s’agit bien là d’un périple vers Los Angeles en 1982, plus précisément dans le quartier d’Hollywood. En rédigeant ce texte, je tente de relire mes notes rédigées dans l’obscurité au point d’être illisibles comme l’ordonnance de mon médecin. Fort heureusement, le film apporte de nombreux aspects intéressants que je ne pourrais me permettre d’oublier. En effet, quand on songe à l’album « Thriller », on aurait tendance à penser uniquement à son statut d’album le plus vendu de tous les temps. La force de « Sonic Fantasy » est de l’aborder uniquement dans son processus créatif, sans savoir de quoi le lendemain sera fait. Il n’est ici pas question de Grammy Awards, ni de vidéo-clips avant-gardistes diffusés sur MTV qui ont révolutionné l’histoire de la musique. Nous sommes loin des strass et des paillettes qui sont liés à « Thriller » à juste titre dans notre imaginaire. D’ordinaire, les magiciens n’aiment pas dévoiler leurs tours mais voilà l’occasion de découvrir un contexte, une autre époque qui a eu une incidence sur l’histoire de la musique en général. Comme le rappelle très justement Bruce dans le film, Quincy Jones avait déclaré qu’ils étaient là pour sauver l’industrie du disque : une mission semée d’embûches dans le contexte de la terrible propagande « Disco Sucks » avec de nombreux vinyles brûlés dans les stades, telle une page très sombre de notre histoire. Voilà pourquoi le témoignage de Freddy DeMann, manager de Michael Jackson à l’époque, offre une perspective intéressante. Rarement présent dans les médias pour évoquer sa collaboration avec le Roi de la Pop, DeMann raconte ici ses discussions avec le chanteur dans l’élaboration du projet et ce contexte délicat. Il est vrai que les pressions de la maison de disques pour finaliser l’album dans les délais est un autre élément à prendre en compte dans l’atmosphère qui devait en découler aux studios Westlake soumis à une deadline oppressante avec de grandes sommes d’argent investies pour un projet qui se devait d’avancer. Voilà pourquoi l’un des attraits de « Sonic Fantasy » est de chercher des informations à la source avec d’excellents protagonistes. Ils sont nombreux et on peut également citer Matt Forger, Steve Porcaro, Greg Phillinganes, Steve Lukather et Thomas Bähler comme témoins importants de ces sessions en studio avec Michael, Bruce et Quincy, apportant une crédibilité au montage final. D’autres anecdotes liées à l’album « Off The Wall » viennent enrichir le contenu. Elles servent ici d’introduction à ces sessions « Thriller » car la première production de Quincy Jones pour un album solo de Jackson reste étroitement liée à son successeur.

Il est vrai que l’aura et le statut de « Thriller » sont indéniables chez les amoureux de la musique mais aussi pour le grand public. Voilà donc le sujet idéal pour Marcos Cabotá afin d’aborder Michael Jackson en tant que professionnel. Le réalisateur est un grand fan du chanteur, mais il souhaitait l’aborder dans un projet qui serait destiné au grand public en général et pas seulement à ses fans. Traiter l’album le plus vendu de tous les temps lui facilite ainsi cet exercice. Marcos ne souhaite pas mettre en avant son statut d’admirateur du Roi de la Pop, mais prend tout de même le temps d’évoquer Michael d’une manière plus générale, ne se limitant pas à « Thriller ». En témoignent d’autres protagonistes présents dans film qui ont travaillé avec lui et Bruce Swedien dans les années 90. Je pense bien évidemment à Brad Buxer, très impliqué dans le projet au point de composer la musique du film. Je pourrais citer également Brad Sundberg, Michael Prince et Brian Vibberts, mais la liste n’est pas exhaustive. D’autant que Taryll Jackson, membre des 3T et neveu de la star, vient raconter ses souvenirs d’enfance liés à son oncle et on ressent alors combien cela l’a forgé en tant qu’artiste. L’occasion d’aborder Michael Jackson sous un angle original via le contexte du travail en studio et du professionnalisme qui en découle. A ce sujet, j’ai particulièrement aimé une citation de Michael présente dans le film : « La meilleure éducation au monde, c’est d’observer les maîtres à l’œuvre ». Elle est ici très adaptée car c’est l’une des missions de « Sonic Fantasy » et elle est réussie avec succès.

En parlant de maître à l’œuvre, il est temps d’évoquer le grand Bruce Swedien. Nul doute que le film est l’un des plus beaux hommages qui lui soit rendu, et on aurait tellement aimé qu’il puisse le vivre avec nous. Le réalisateur prend le temps de nous présenter son riche parcours et ce qui lui a donné envie de faire de la musique. On ne peut que s’attacher au personnage, non sans saisir toute l’admiration qu’il mérite. Ainsi, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec « I Am Your Father ». Dans son précédent film, le réalisateur espagnol rendait hommage à David Prowse, l’acteur qui avait incarné le rôle de Dark Vador au cinéma dans la première trilogie de « Star Wars ». C’est un bel hommage à Prowse qui est resté dans l’ombre de son illustre personnage au point de ne jamais dévoiler son visage à la caméra. La démarche de Marcos Cabota est assez proche pour « Sonic Fantasy » car Bruce Swedien est un artisan de l’ombre pour quelque chose de mondialement reconnu. Le film cherche ici à creuser à la source et à tenter de comprendre et d’analyser un travail abouti pour mieux rendre un hommage à la hauteur d’un artiste. Car oui, au-delà d’être un technicien de haut niveau, Bruce Swedien mérite d’être considéré comme un artiste à part entière. Le titre « Sonic Fantasy » fait allusion au système “The Acusonic Process”, et il est bon de préciser que ce procédé n’existe que dans le cerveau de Bruce. Il est ici question d’inspiration, de se laisser porter par la musique pour mieux la célébrer et l’immortaliser sous le plus bel aspect d’un mixage.

Ce talent se ressent avec beaucoup d’émotion et mes mots ne seront pas à la hauteur de ce qu’on vit en découvrant le film. Toutefois, je peux affirmer que nous décelons la complicité et l’esprit de franche camaraderie en studio malgré les enjeux. En témoignent quelques anecdotes liées à Rod Temperton, autre artisan de « Thriller » parti trop tôt, et à Quincy Jones. Avec ce dernier, Bruce utilisait un langage particulier qui leur permettait de se comprendre et illustre une belle complicité qui se doit d’être découverte dans le film. Personne d’autre n’aurait pu faire ça. À un certain point, la musique peut devenir spirituelle…

« Mettez Quincy, Bruce et Michael ensemble, et vous obtenez Thriller. Retirez l’un des trois, et vous n’aurez jamais Thriller. » Cette citation extraite du film est très juste car après la parution de l’album, les différents labels ont enfin compris qu’avoir un excellent chanteur et un excellent producteur sur un projet n’est pas forcément suffisant si vous n’avez pas un ingénieur du son de la même trempe.

La projection s’achève, les lumières se rallument et je reviens en 2022… Michael Prince déclare qu’il aurait aimé que le film ne s’arrête jamais, tandis que Brad Buxer félicite Marcos en disant que c’est le meilleur documentaire lié à Michael. Je reste cependant à ma place en laissant les protagonistes du film réagir. Toutefois, je suis heureux d’avoir été présent avec eux en ce 14 avril 2022. J’ai hâte de revivre ce moment avec Marcos Cabotá, au mois de juin, avec les fans. Nous vous donnons donc rendez-vous à Paris et à Cologne pour une expérience et une immersion inoubliables dans l’univers de « Thriller ». Merci Marcos pour cet hommage très émouvant : toi aussi, tu es un artiste.

 https://www.sonicfantasymovie.com/