Joyeux anniversaire, HIStory !
Il y a 28 ans, l’album le plus personnel et autobiographique de Michael Jackson arrivait chez les disquaires pour le plus grand plaisir de ses fans.
Une époque révolue du siècle dernier où les gens achetaient encore des disques alors qu’internet n’en était qu’à ses balbutiements. Une promo sans demi-mesure, à l’image de cette pochette annonçant à juste titre que la musique survivrait à l’artiste pour le rendre immortel. Cette statue pouvait sembler moins fascinante que la fresque de Dangerous et pourtant, elle n’en était pas moins épique, nous offrant le sentiment d’ouvrir un grimoire afin de nous conter une histoire, à l’image de ce premier feuilletage du magnifique livret de l’album qui nous transportait dans un voyage musical dont on aurait aimé qu’il ne se termine jamais. À l’époque, sans ce recul nécessaire, on aurait aisément pu qualifier ce monument de bronze comme une œuvre mégalo. Aujourd’hui, nous pouvons apprécier ce visuel comme une œuvre musicale qui va traverser les siècles à l’image de cette statue indestructible. Je n’avais que 16 ans à l’époque, la vie devant moi et de nombreuses leçons à apprendre, mais je percevais pourtant toute la mesure de cette formule « Past, Present and Future ». C’était au point de parfois frissonner intérieurement en songeant à ces paroles « Every day create your history… » entendues dans la chanson-titre de l’album, tel un hymne qui prend ici tout son sens. L’occasion de saluer illico presto la prestation des Boyz II Men sur ce titre, craignant d’oublier de citer ces icones des 90s mais l’essentiel n’est pas là… Il est vrai que près de trois décennies plus tard, nous sommes plongés dans ce futur d’alors et nous pouvons ainsi mesurer la portée de cette œuvre sur notre présent. Ce n’est pas un secret, il s’agit bien là de mon album préféré et je n’ai aucun doute à ce sujet. Toutefois, je ne pourrais affirmer qu’il s’agit du meilleur de la discographie Jackson tant le Roi de la Pop a mis la barre très haute. Je pourrais croiser ses admirateurs et je n’aurais pas forcément envie de débattre au sujet du meilleur opus. Bon nombre d’entre eux sont des œuvres très abouties et je ne pourrais qu’acquiescer en entendant les louanges de chacun afin de justifier une préférence à la fois personnelle et subjective. Je vais donc tenter d’expliquer pourquoi cette date du 16 juin me procure davantage d’émotions qu’un 31 août pour Bad ou un 10 août pour Off The Wall. Car oui, il s’agit bien d’émotions et de souvenirs, ce qui représente des facteurs importants selon moi pour apprécier une musique. Je ne cherche pas à vous convaincre, vous faire changer d’avis sur votre disque préféré, mais simplement partager avec vous un ressenti et une affection pour un album qui se démarque dans cette discographie.
C’est le cas pour de nombreuses raisons car il s’agit bien là de l’œuvre la plus personnelle et autobiographique du chanteur passant par tous les sentiments au fur et à mesure des chansons. Voilà pourquoi elle débute par un cri de colère pour se terminer dans un sourire. Entre « Scream » et ses sons futuristes du tandem Jam/Lewis en duo avec Janet (enfin !) jusqu’à l’orchestre symphonique de « Smile » pour rendre hommage à Charlie Chaplin dans un schéma à la Franck Sinatra, l’artiste nous a offert toutes ses palettes en nous partageant toutes ses joies et ses peines. Bien évidemment, ce n’était pas la première fois que l’artiste se livrait ainsi et vous pourriez me citer « Will You Be There » comme un parfait exemple. Toutefois, je persiste à penser que le Roi de la Pop est allé plus loin dans ce domaine avec HIStory. Ce sentiment d’injustice, un brin revanchard non sans une colère profonde répondant aux accusations de 1993 s’exprime bien évidemment sous de multiples facettes. Je prends d’ailleurs comme exemple « This Time Around », la production de Dallas Austin. C’est sous ses sonorités hip hop qu’elle nous plonge dans des ruelles sombres peuplées de mines patibulaires, au point de vouloir changer de trottoir ! Ce n’est pas la participation du regretté Notorious Big qui va nous extraire de cette ambiance menaçante. Il en résulte sans doute le featuring rap le plus intéressant et iconique sur un disque de Michael Jackson et ce n’est pas un argument à prendre à la légère. Il est bien évidemment supérieur à la performance de Shaquille O’Neal sur ce même album ce qui n’affaiblit pas pour autant « 2 Bad », autre titre aux sonorités hip hop. Si nous devions organiser une battle (de rue !) entre les deux, il serait difficile de les départager. Il en résulte que le logo « Parental Advisory Explicit Lyrics » aurait pu s’appliquer pour la première fois sur un album estampillé Michael Jackson. C’est peut-être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. Dans cette frénésie colérique, comment ne pas citer « D.S. » qui va nommément attaquer de front le procureur Tom Sneddon sous les solos de guitare alcoolisés de Slash. Objectivement, il ne s’agit pas d’une des plus belles compositions du Roi de la Pop mais ne boudons pas notre plaisir. Voilà un Michael décidé à ne pas tendre l’autre joue, quitte à risquer des représailles en ne désamorçant pas un conflit face à celui qui lui a montré les crocs. On peut débattre de la véracité de cette chanson, mais elle démontre que le Roi de la Pop reste avant tout un humain, loin de cette image lisse qu’on lui a parfois collé. Il se sent décomplexé pour envoyer les gens au diable, que ce soit Sneddon ou le tout Hollywood. Le clip de « Liberian Girl » et cette autosatisfaction de se sentir aimé par tout le show-business peut alors nous sembler lointain. Je me dis qu’avec l’âge et l’expérience, nous comprenons que nous ne pouvons plaire à tout le monde au point de ne plus chercher à le faire. Face à cette adversité, les percussions à coup de mitraillettes de « Tabloid Junkie » tirent à boulets rouges sur les médias. Le message se veut bien plus incisif et prononcé que celui du temps de « Leave Me Alone ». Les plaies sont plus profondes avec davantage de maturité dans l’existence, quand le titre extrait de Bad jouait sur le message à double sens, un brin plus léger.
Toutefois la colère peut être mauvaise conseillère et nous n’aurions pu apprécier ce disque s’il était resté dans cette même thématique tout au long de son écoute. On peut ainsi manquer de lucidité, de recul face à soi-même quand nos nerfs sont montés à bloc. Heureusement, HIStory ne tombe pas dans ce piège et la chanson « Money » offre un regard perspicace et subtil du chanteur face aux vautours et traitrises qui le guettent pour de l’argent. La chanson « Morphine » est un parfait exemple d’un titre autobiographique, visionnaire et tragique sur sa destinée mais « Money » pourrait être davantage citée également. Comme son addiction aux médicaments, ce sont les coups de couteaux dans le dos pour de l’argent qui contribueront à sa perte. Michael a souvent été considéré comme un naïf mais lorsque vous écoutez cette composition, il y a de quoi penser le contraire. Elle résume tellement une grande part de sa vie, bien malheureusement.
La tristesse et la mélancolie sont des sentiments qui peuvent apparaitre lorsque la colère s’estompe. C’est ce qui nous amène sous la pluie de Moscou et nous plonge ainsi dans l’un des joyaux de l’album, « Stranger In Moscow ». Ce tube est devenu l’une de ses plus belles chansons, restée dans l’esprit du public comme l’une des plus belles œuvres et à juste titre. Cette souffrance de l’artiste offrant un si beau témoignage musical est tellement poignante. Cette douleur qu’il ressent à l’intérieur nous prend aux tripes, et nous la vivons intensément avec lui. Les années passent mais cette émotion reste vive à chaque écoute. J’aurais pu appliquer cette dernière phrase pour « Childhood », même si son ambiance assimilable à un Disney offre un univers plus enfantin et pour cause. L’artiste porte un regard sur sa propre personne, et évoque pour la première fois en chanson un sujet central de son existence. L’adulte sous les feux des projecteurs depuis son enfance nous demande un peu d’indulgence et de comprendre son vécu. Ainsi, avant de le juger, il demande à ses auditeurs d’essayer de l’aimer de toutes leurs forces. C’est quelque chose de poignant et j’imagine aujourd’hui une célébrité s’adressant à ses haters dans la violence des réseaux sociaux. Je me dis que Michael Jackson subissait déjà cette haine déferlante, avant l’heure, au point de déceler un message qui se veut visionnaire et qui n’annonçait rien de bon. L’artiste a donc beaucoup parlé de lui et s’est livré comme jamais auparavant. Dans cette thématique personnelle, il n’allait pas pour autant se limiter à sa seule personne. C’est par des chansons à messages, s’adressant à tous, tels des combats à mener, qu’on peut également discerner sa personnalité. Par des chansons humanitaires, il avait déjà voulu œuvrer auparavant pour les victimes et malheureux de ce bas monde. Cela incluait bien évidemment les enfants subissant de mauvais traitements et ce fut un des leitmotives de la fondation Heal The World. Avec « Little Susie », le chanteur va encore plus loin afin de dénoncer ce qu’il y a plus de monstrueux dans la nature humaine. En nous narrant l’assassinat de cette petite fille, il nous contextualise toute l’horreur et ne se limite plus à un fait divers d’une page de journal. Avoir été accusé de quelque chose qui est son plus grand combat a forcément laissé des traces dans le vécu du chanteur. Ainsi, il nous offre une de ses compositions les plus dramatiques et nous pouvons déceler toute sa sensibilité face à l’incompréhension et la douleur d’un tel drame. Elle mériterait d’être davantage citée et reconnue comme l’une de ses œuvres les plus poignantes. Bien heureusement, « Earth Song » a été de son côté un hit et son message écologique a été entendu par le plus grand nombre. Il suffit d’écouter aujourd’hui l’actualité pour constater combien ce titre est visionnaire. C’était également un de ses combats qui reflète l’homme qu’il était. J’aime l’idée de savoir que sa dernière session vocale de l’album fut ce final où il a hurlé toute sa rancœur face à ses questions qui sont restées sans réponses. Il a usé ainsi ses dernières forces dans la bataille avant de devoir rendre les bandes master, comme me l’avait raconté l’ingénieur du son Rob Hoffman dans Let’s Make HIStory. C’est l’une des raisons qui me fait considérer Michael Jackson comme un artiste alors au sommet de son art, en totale plénitude dans son rôle de chanteur, arrangeur, compositeur et producteur avec une équipe en totale osmose avec lui. Les principaux collaborateurs de la trilogie avec Quincy Jones sont toujours là et ceux venus depuis Dangerous font également leur part à l’image de Brad Buxer, l’homme de l’ombre, que ce soit le jour ou la nuit.
On peut donc parler d’album de la maturité, et ce n’est pas « They Don’t Care About Us » qui pourrait contredire ce constat. Voilà donc un titre engagé, évoquant les problèmes sociaux et politiques, qui a su traverser les décennies pour représenter les plus démunis. Un message universel pour tous, quel que soit leur origine. Michael Jackson devient ainsi la voix de chacun, tel un porte-parole face à l’adversité, face à tous les combats. Aurait-il pu la chanter sur un album précédent avec un message si fort ? Nous ne pouvons donner une réponse avec certitude mais j’aime cette idée qu’HIStory représente un palier dans sa vie d’homme et d’artiste.
Il faut donc réaliser que toutes ces compositions proviennent d’un même album. Beaucoup d’artistes rêveraient d’avoir tant de joyaux sur un best-of qui s’étalerait sur vingt ans. Ce sentiment me ferait oublier de citer « Come Together » que nous connaissions déjà en Face B du 45 Tours de « Remember The Time » et du long-métrage Moonwalker. Pourtant, en acquérant les droits des Beatles 10 ans plus tôt, le Roi de la Pop nous rappelle ainsi que le groupe de Liverpool fait partie intégrante de son histoire. Par cette reprise, il nous présente une de ses influences musicales, non sans narguer certains gardiens du temple de John, Paul, George et Ringo. Car oui, des gardiens du temple, il y en a toujours eu partout et cela ne devait pas forcément plaire à tout le monde. Mais bon, Michael utilise enfin le mot « Fuck » dans HIStory, et sans doute que ça lui a fait du bien.
Face à toutes ces chansons personnelles et autobiographiques, « You Are Not Alone » peut sembler un titre fait sur commande. Elle a sans doute moins résisté au temps comparée aux autres tubes de l’album. J’ajouterais juste qu’un disque se doit d’avoir sa chanson d’amour pour son équilibre, d’autant qu’elle a permis de battre un record en rentrant directement à la première place du Bilboard Hot 100. Une grande performance en détrônant « Scream » qui était rentré directement à la 5ème place quelques semaines plus tôt. Et dire que le précédent record datait des Beatles (décidément !) depuis 25 ans ! Ce fut son dernier coup d’éclat sur le sol américain au niveau des hits parades et ça méritait bien d’être relevé ici. Je ne reviendrai pas sur le cas de R.Kelly qui reste le compositeur (et encore, il serait bien coupable de plagiat…) de la chanson et l’artiste en vogue de l’époque promis à un grand avenir. Tout s’est écroulé pour lui depuis et il reste une sorte d’exception à la règle dans cet opus visionnaire qui est resté dans l’HIStoire au fil du temps en nous offrant tous les styles, à l’image de la richesse de l’univers musical de Michael Jackson.
Face à ce résultat, j’ai le sentiment que la star ne sera plus jamais autant impliquée dans un projet d’album. Il est vrai que les prochaines parutions de disques auront lieu après qu’il soit devenu père, et je reviens à cette sensation de maturité et de tournant lors de ce 16 juin 1995. Je pourrais ajouter le fait qu’il s’agissait là de sa dernière promotion d’ampleur en phase avec sa maison de disques. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas déjà des tensions mais elles semblaient moins perceptibles et il restait alors la plus grande star de la planète face à laquelle une firme ne pouvait que s’incliner. J’ai totalement savouré cette période dans ma vie de lycéen. Lors de ma première écoute en parcourant le livret, je savais que ce n’était qu’une question de temps pour enfin voir Michael Jackson sur scène. C’est bien là que le meilleur était à venir, et j’allais m’épanouir comme jamais dans cette époque. Aujourd’hui, c’est toujours un moment particulier de se remémorer ces souvenirs. C’est pourquoi j’ai publié deux livres dédiés totalement à ce sujet et je me dis que j’en ai peut-être fait le tour. Cela m’avait manqué d’évoquer tout cela, tant c’est quelque chose qui me tient à cœur. Dans deux ans, nous fêterons les 30 ans de ce joyau. J’aimerais qu’il soit célébré comme il se doit et que beaucoup de gens comprennent que Michael Jackson était toujours un grand artiste dans les années 90. On ne peut pas se contenter de fêter uniquement les parutions de Thriller. Je reste vigilant à ce sujet en tout cas.
Joyeux anniversaire, HIStory ! Contrairement à moi, tu ne prends pas une ride !
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