Tout vient à point à qui sait attendre ! Ce proverbe semble approprié avec la sortie de ce fameux documentaire Thriller 40, célébrant l’album le plus vendu de tous les temps considéré, à juste titre, comme le joyau de la discographie de Michael Jackson. Annoncé et diffusé en avant-première à Londres lors de la parution de l’album éponyme il y a déjà un an, nous en étions presque à l’oublier, au point de lire quelques commentaires sarcastiques sur les réseaux sociaux de certains fans le renommant Thriller 41.
Et pourtant, cette date du 2 décembre 2023 n’est pas si saugrenue ! En effet, c’est bien il y a 40 ans, jour pour jour, que le clip de « Thriller » a été diffusé pour la première fois sur MTV ! Un plan marketing audacieux pour nous faire oublier (et digérer) ce report et ainsi, par cette annonce, nous faire déjà réaliser avant visionnage qu’il ne s’agira pas seulement d’évoquer le disque mais également tout ce que représente la Thrillermania dont les vidéos clips font partie intégrante. L’attente est donc légitime lorsque vous vous attaquez à un monument de la musique. Il y a un avant et un après Thriller comme il est très justement mentionné en début de reportage. Et après les deux documentaires de Spike Lee sur Bad et Off The Wall, on souhaite que la boucle soit bouclée dignement par l’Estate au sujet de cette trilogie Jackson/Jones. Ce nouveau documentaire est cette fois-ci réalisé par le journaliste musical Nelson George. Ce choix avait fait réagir négativement de nombreux fans au sujet de ses commentaires eux aussi négatifs sur le Roi de la Pop dans les années 2000, mais je faisais partie de ceux qui pensaient qu’il fallait attendre de voir le produit fini avant de porter des conclusions trop hâtives…
D’autant que je suis captivé par les premières minutes nous plongeant dans le décor des studios Westlake. Les quelques témoignages de Matt Forger, Steve Lukather, Greg Phillinganes et Anthony Marinelli me donnent l’impression que je vais voir le documentaire dont je rêvais. Un peu comme si chacun des titres allait être analysé un par un dans leur processus créatif, porté par les talents de Michael Jackson, Quincy Jones, Bruce Swedien et Rod Temperton. Cette impression se confirme par la présence du guitariste Paul Jackson Jr et des Waters venus faire les chœurs de « Wanna Be Startin ‘ Somethin’ ». Ce premier quart d’heure est donc plus que prometteur et de bon augure, d’autant que les images d’archives des sessions studios de « The Girl Is Mine » sont tout simplement exceptionnelles. Je me revois, en juin 2009, lire le témoignage de David Paich au sujet de cette improvisation de « I Was Made To Love Her » ce jour-là, précisant que le tout avait été filmé. J’avais souri en me disant qu’on ne verrait sans doute jamais ces images. J’aime ainsi vous raconter cette anecdote pour exprimer combien cette archive est exceptionnelle. Je découvre enfin des membres de Toto (mon groupe favori, mais vous le saviez, non ?) comme Steve Lukather et Jeff Porcaro en compagnie de Michael et Paul qui, en quelques secondes, parviennent à nous offrir une émotion palpable qui rend ici justice à « The Girl Is Mine », morceau parfois sous-estimé dans la discographie Jackson. On ne peut que s’incliner face à cette magie qui opère dans le studio. Loin des artifices, il n’y a ici qu’un talent brut qui s’exprime et nous sommes subjugués par l’authenticité de ces deux artistes face au micro.
D’un point de vue global, les images d’archives sont l’un des points forts du documentaire. Ainsi, vous contentez les fans, et lorsque je vois toutes les captures d’écran qui inondent l’actualité de mes contacts Jackson sur les réseaux sociaux, force est de constater que l’Estate a tapé dans le mille en ouvrant ses archives, même si tout est forcément chronométré à la seconde près. Peut-être que je ressens alors un certain calcul et que la magie s’estompe pour ma part au fil des minutes. Il est vrai que je reste moins captivé par les témoignages de ceux qui n’ont pas participé de près à l’album. Je n’ai rien contre Mark Ronson, Mary J. Blige ou Usher, et même si je suis conscient qu’un parallèle avec des artistes actuels est légitime, j’ai davantage de mal à boire leurs paroles. Bien évidemment, ce concept et ces recettes étaient déjà appliqués dans les documentaires de Spike Lee et d’une manière générale sur tout projet de ce type. Une façon de réaliser que c’est bien le grand public qui est visé dans le but qu’il perçoive combien l’héritage artistique de MJ continuera de perdurer dans le temps. Mais c’est tellement une évidence pour moi que je ne ressens pas le besoin qu’on me le rabâche. Cela fait plus de vingt ans que j’entends que Usher et Justin Timberlake sont ses dignes héritiers, alors ce ne sont pas quelques extraits de KPop qui vont me faire couler une larme d’émotion, et l’année 1982 ne m’a jamais parue aussi loin à cet instant… Pour revenir à ces fameux intervenants, on pourrait alors me rétorquer que Will I Am et le tandem Jam/Lewis ont collaboré eux-mêmes avec le Roi de la Pop, mais j’aurais trouvé plus judicieux de les voir dans des documents évoquant leurs travaux respectifs aux époques concernées. Vous pouvez justement imaginer combien je rêve d’un documentaire dédié à HIStory mais je ne parierais pas trop là-dessus, je reste lucide. Enfin, je m’égare, revenons à notre sujet même si celui-ci part dans des directions que je ne trouve pas pertinentes. Je fais bien entendu allusion à la société TikTok qui a placé son produit. C’est très bien si des fans utilisent la musique de Michael à Rotterdam ou à Rio sur cette plate-forme, mais est-ce vraiment une info capitale quand on veut évoquer un tel joyau musical ? Le business est le business me direz-vous, mais lorsqu’il prend le pas sur l’aspect artistique, voilà un signal d’alerte… D’autant que j’imaginais une trame évoquant l’album chanson par chanson et narrant la genèse de ces fabuleux hits. Comment par exemple ne pas rendre hommage au batteur Ndugu Chancler et au bassiste Louis Johnson, partis trop tôt également, lorsqu’on tente de nous plonger dans les coulisses de « Billie Jean » ? D’autres témoins encore de ce monde comme le claviériste Bill Wolfer auraient pu partager leurs souvenirs liés à la démo enregistrée dans la demeure familiale des Jacksons à Hayvenhurst. La liste est trop longue des absents qui auraient pu témoigner au sujet de cette fabuleuse aventure musicale, au risque d’en oublier un grand nombre. Chaque titre abordé est survolé et en voulant aller à l’essentiel, on en oublie parfois les fondamentaux. Je pense notamment à « Human Nature » dont on ne cite pas le nom du parolier John Bettis et du compositeur Steve Porcaro. Le manque de respect de l’Estate envers ce dernier avait déjà été visible lorsque l’Estate avait tenté d’acheter « Chicago 1945 » pour des cacahuètes, non sans ajouter que c’était pour remixer (je dirais même bousiller) cet inédit. Voilà donc comment des divergences entre les différents protagonistes qui perdurent depuis des années nuisent à l’aspect artistique et se matérialisent dans le montage de ce Thriller 40. Le nom du groupe Toto est bien évidemment cité pour faire illusion mais j’aurais aimé un peu plus de reconnaissance pour son auteur ainsi que pour David Paich qui apparait à l’écran derrière son piano dans des images d’archives sans être cité lui non plus. Pourtant, Michael n’avait pas manqué de le faire dans Moonwalk mais nous sommes clairement dans une autre optique aujourd’hui. Vous êtes dans les petits papiers de l’Estate ou vous ne l’êtes pas. Je pense notamment à la présence des frères Talauega qui collaborent régulièrement aux différents projets de l’Estate en tant que chorégraphes. Je suis conscient qu’ils ont été présents sur le HIStory Tour, aux concerts MJ & Friends ainsi qu’à ceux du Madison Square Garden en 2001. Ils sont tout à fait légitimes pour aborder la danse dans l’univers Jackson. Toutefois, lorsque le réalisateur ignore Vincent Paterson qui aurait pu évoquer sa présence sur les clips de « Beat It » et « Thriller » et rendre ainsi hommage à son ami Michael Peters, vous réalisez que l’Estate a imposé son propre casting à Nelson George. Ce dernier tente même de placer Quincy Jones tant que possible pour faire oublier son absence malheureuse au vu des rapports tendus (la faute à qui ?) entre le producteur et les exécutants testamentaires de Michael Jackson. Outre quelques documents d’archives, le témoignage de Steven Ray, l’assistant de Q à l’époque, démontre cette volonté de faire oublier cette aberration qui n’est que le résultat d’une gestion humaine catastrophique avec un grand nombre de collaborateurs. Au point d’oublier volontairement d’évoquer la genèse des titres « P.Y.T » et « The Lady In My Life », alors que leurs auteurs respectifs, Quincy Jones et Rod Temperton, n’ont jamais été hermétiques pour raconter leurs travaux avec Michael Jackson. En témoignent leurs participations au documentaire King Of Sound de Gareth Maynard qui était dédié à Bruce Swedien. Sa diffusion s’est malheureusement limitée à notre première édition du MJ MusicDay en 2017 mais aura au moins permis la création de Sonic Fantasy lorsque Marcos Cabota, après avoir assisté à notre projection, proposa à Gareth de reprendre le flambeau. Voilà pourquoi j’ai le sentiment que Nelson George a dû œuvrer sous de nombreuses contraintes pour mener à bien ce projet. Tout n’est pas à jeter loin de là, et pour la première fois, « Beat It » n’est pas ramené seulement au solo d’Eddie Van Halen et le travail mélodique de Steve Lukather est enfin reconnu à sa juste valeur. Toutefois, aucune mention du Synclavier et de l’anecdote du vinyle promo bleu ayant servi pour l’intro comme aime à le raconter Tom Bähler. Voilà une autre personne qui aime partager ses souvenirs et qui aurait mérité d’être contactée, mais comme dit plus haut, la liste est longue au niveau des absents et tout est vraiment survolé.
On ne veut ici qu’exprimer la magie de ce que représente Thriller, en occultant la tension qui a pu exister en coulisses, à l’exception du conflit CBS/RCA au sujet du ET Storybook le temps d’un bref instant. Le projet Thriller avait pour mission de sauver l’industrie du disque et une certaine pression en découlait forcément. Il y eut des cris, des larmes dans le studio, notamment lorsque Bruce Swedien dut refaire le mixage après une première écoute catastrophique en présence des grands pontes de CBS. Voilà pourquoi le documentaire de Sonic Fantasy de Marcos Cabota va plus loin pour nous plonger dans ce qui est l’ADN de Thriller. La comparaison était inévitable d’autant que le réalisateur a convié bien plus de protagonistes de l’album à témoigner, sans oublier d’offrir un véritable hommage à l’ingénieur du son sans qui Thriller n’aurait été le même. Marcos avait d’ailleurs tenté d’offrir ses nombreux rushs de Bruce afin de compléter ce documentaire Thriller 40. Il n’a obtenu aucune réponse, et on peut se douter que certains ont peur de faire des chèques au détriment de la qualité. Ce n’est pourtant pas faute de moyens… John Branca devait penser que l’essentiel était déjà présent dans le doc, d’autant qu’il apporte également son témoignage. Ne vous méprenez pas, il est tout à fait légitime également. Dans son rôle d’avocat, il a beaucoup œuvré à l’époque et il fait bien de le rappeler, citant bien volontiers ses faits d’armes comme la commercialisation du Making Of de Thriller. Cependant, j’aurais aimé que d’autres témoins comme le manager Freddy DeMann (présent dans Sonic Fantasy !) aborde cet aspect du business, et qu’on rappelle tout le travail effectué dans ce domaine par Franck DiLeo. John Branca ne peut ainsi s’octroyer les seuls lauriers comme s’il avait été seul aux affaires. Le sujet Thriller est trop important pour se muer en message de propagande…
Je reconnais avoir déjà beaucoup râlé et pourtant, ce documentaire est totalement bienveillant. Même le témoignage de John Landis se veut charmant. Le tout offre un rendu agréable d’autant que les images inédites liées au clip de « Thriller » sont des friandises à faire exploser ma glycémie et un bon stratagème pour tenter de me faire atténuer mes précédentes réserves. La Thrillermania continue ainsi avec ses nombreuses cérémonies et récompenses qui sont indissociables de son univers. Ce montage en fait la totale démonstration. Les publicités Pepsi sont également abordées en soulignant qu’elles avaient pour but de contenter la famille Jackson. Et comme pour la soirée Motown 25 et le Victory Tour, il aurait bien été judicieux de donner la parole à au moins un des frères Jackson comme l’avait fait Spike Lee. J’ajouterais que le témoignage de Nelson Hayes est un autre rendez-vous manqué. En tant que chauffeur et intendant, il avait une proximité intime avec Michael et ses frères et aurait pu ainsi apporter ce point de vue interne à la famille plus que légitime, d’autant que la Thrillermania représente un nombre conséquent d’albums et de projets réalisés par les frères et sœurs du Roi de la Pop : un (autre) aspect oublié de cette époque, même si toutes mes idées auraient offert une durée supérieure au film Ben-Hur ! Vous pouvez ainsi penser qu’ils m’ont perdu et que je continue de râler dans ma barbe. Détrompez-vous ! Ce serait sous-estimer le pouvoir des images du Victory Tour dont la qualité me fait vibrer au point de fantasmer sur la parution d’un Blu-ray 4K. Je m’imagine profitant de l’intégralité de ce concert à grand volume dans mon salon. J’avais eu le même sentiment en découvrant les images impeccables du Triumph Tour dans le documentaire The One en 2004. J’osais espérer qu’un jour je profiterai enfin de ce concert dans des conditions optimales et dans ces cas-là, la frustration est grande. Cela fait 20 ans que j’attends et je souhaite que la même mésaventure ne se reproduise pas avec ce Victory Tour, même si l’espoir est mince. Cela fera bientôt 40 ans que cette tournée a eu lieu et il serait peut-être temps de lâcher du lest. Un peu de fan service ne fait pas de mal parfois. Il est ici un peu oublié au profit du grand public, comme c’est le cas d’une manière générale pour ce documentaire. Pourtant, j’ai la conviction que ce sont les fans qui ont le plus besoin d’être pris en considération. Le générique de fin tente bien de nous rassurer et de nous dire que l’Estate réalise de grandes choses dans une forme d’autosatisfaction en citant les quelques projets réalisés depuis 2009. Pour ma part, j’ai plutôt le sentiment de voir une campagne promotionnelle me faisant songer à un président sortant tentant de défendre son bilan en pleine campagne électorale pour essayer d’être réélu.
Malgré toutes mes critiques, je ne peux objectivement pas qualifier ce documentaire de mauvais. Il remplit son rôle auprès du grand public et d’un grand nombre de fans, et après de longues périodes de vaches maigres, il est bon d’avoir une actualité. De mon côté, si je veux aborder certains sujets, je me dois d’essayer de les traiter avec mes idées et mes moyens. J’ose espérer que nous n’en avons pas fini avec le Roi de la Pop. C’est un sujet inépuisable, alors continuons de le célébrer. Nous le lui devons bien.