« Vis chaque jour comme le dernier car un jour tu auras raison »… Cette citation de Quincy Jones a toujours été l’une de mes favorites, et malheureusement, en ce lundi 4 novembre au matin, j’apprends sa disparition. En raison de son âge avancé, je savais que ce jour finirait par arriver mais je suis malgré tout sous le choc. Il faut dire qu’il y a quelques jours j’étais à Los Angeles avec une visite des studios Westlake au programme, sans oublier quelques rencontres avec certains de ses musiciens qui n’ont pas tari d’éloges son sujet à chaque fois. Il est donc totalement présent dans mon esprit lors de ce périple californien, et je ne l’imaginais pas nous quitter au moment de mon retour en France…
Lorsqu’un artiste qui nous a accompagnés dans notre quotidien nous quitte, on se repasse ses disques qui font ressurgir des souvenirs. Une sorte de bilan personnel qui nous permet de réaliser quelle trace il va laisser et pour Quincy, il est évident qu’il restera l’une des figures les plus influentes de la musique américaine du XXème siècle. C’était pourtant loin d’être une chose acquise, tant il est parti de loin. Né en 1933 à Chicago, il a passé son enfance dans la pauvreté avec une mère qui a fini à l’asile et dans ce cas il aurait été plus facile de tomber dans la délinquance. Heureusement, c’est dans la musique qu’il s’est impliqué et c’était déjà une sorte de miraculé dès l’adolescence. Je ne reviendrai pas sur la totalité de son parcours qui a mené l’ami trompettiste de Ray Charles jusqu’à être l’un des producteurs les plus respectés de la planète. De nombreux sites le feront mieux que moi et je n’ai jamais cherché à faire concurrence à Wikipedia. Je vais m’exprimer à travers mon regard d’admirateur qui a aimé un grand nombre de ses travaux.
Il est vrai qu’en devenant fan de Michael Jackson et en scrutant ses livrets d’album, je me devais de m’intéresser à son producteur et d’élargir ainsi mes connaissances musicales. Tout a commencé pour moi avec la trilogie Off The Wall/Thriller/Bad mais avec le temps, j’ai appris à inclure la bande originale de The Wiz dans ce schéma car sans elle, rien n’aurait eu lieu ensuite. Autant je peux comprendre certaines réserves sur le film en lui-même, autant je trouve cette bande originale magnifique. Cette équipe de musiciens et de techniciens autour de Quincy s’étoffera au fil des albums, mais la base est déjà là pour The Wiz, à l’image de l’ingénieur du son Bruce Swedien, autre figure emblématique de la discographie Jackson. Après avoir dévoré tous ces albums, j’ai voulu comprendre comment on pouvait arriver à une telle exigence de talents pour offrir un tel rendu. La réponse est que Quincy Jones choisissait les meilleurs musiciens et affinait sa sélection selon les morceaux. Il avait une sorte d’instinct et une oreille musicale qui lui permettait d’appeler Eddie Van Halen pour un solo de guitare Rock, Greg Phillinganes et David Paich pour les plus belles mélodies de piano, non sans savoir qu’il fallait compter sur Steve Porcaro et Michael Boddicker pour les programmations de synthétiseurs. Il en a été de même avec des compositeurs dans différents styles comme Tom Bähler et Rod Temperton, et lorsqu’il a fallu incorporer de nouveaux sons avec le Synclavier, il a toujours été ouvert. Une façon d’expliquer cette longévité sur plusieurs décennies et dans différents styles. Cette envie de se renouveler passe aussi par le fait de trouver de nouveaux talents, on pourrait ainsi citer aisément les chanteuses Siedah Garrett et Brandy qui n’avait que 16 ans lorsqu’elle participa à l’album Q’s Jook Joint en 1995 avec ce tournant vers le hip-hop instauré avec Back On The Block paru quelques années plus tôt. Il est impossible de tous les citer ici, mais cette équipe autour de Quincy Jones m’a donné envie de découvrir ses propres albums solos comme The Dude paru un an avant Thriller ou encore la compilation From Q With Love parue en 1999. Je cite celui-ci car il contient, selon moi, une pépite avec le titre, inédit à l’époque, « I Am Yours » paru en single avec le vidéo clip qui l’accompagnait. Il s’agit d’un duo entre Siedah Garrett et El DeBarge, et lorsqu’on le découvre pour la première fois, on ne peut que songer au Roi de la Pop et se dire que c’était la chanson parfaite pour lui ! A se demander même si Q n’avait pas songé à Michael pour accompagner Siedah une nouvelle fois. J’adore ce titre mais à chaque écoute, j’ai ce sentiment d’un rendez-vous manqué pour des retrouvailles. En 1999, Michael Jackson n’avait déjà plus rien à prouver et je me dis que ce virage Invincible aurait pu se dérouler autrement en revenant, même brièvement, à la source. L’évolution de cette collaboration Jackson/Jones est un sujet qui me passionne et j’y reviendrai de façon plus détaillée prochainement, mais j’avais ce souhait d’exprimer ce sentiment lié à cette ballade. Si c’est pour vous l’occasion de la découvrir, j’aurais au moins servi à ça.
Toutefois, la discographie de Quincy Jones ne se limite pas à MJ. Ainsi, j’ai pu me tourner vers d’autres albums qu’il a produits dont ceux de George Benson, Rufus, les Brothers Johnson, Donna Summer et autre James Ingram, liste non exhaustive. Ceux qui me connaissent bien savent que mon groupe favori est Toto dont les membres sont des piliers de cet univers musical. Rien que pour cela, j’ai souvent été reconnaissant envers Michael Jackson de m’avoir permis de me tourner vers ce groupe, tant il m’a apporté dans mon vécu. Les années ont passé et j’ai fini par totalement réaliser que cette reconnaissance devait s’appliquer également envers le producteur de ses albums.
Depuis que je me suis tourné vers l’écriture au sujet du Roi de la Pop, Quincy en a toujours fait partie intégrante. Je me revois travailler de nombreux entretiens avec différents musiciens et à chaque fois, en préparant des questions, il est toujours là et je me dois le citer et l’intégrer tel qu’il le mérite.
Coïncidence ou non, c’est en 2013, l’année où parait mon premier livre que je le vois pour la première fois lors du concert fêtant ses 80 ans à Montreux. La majorité des artisans de la trilogie Jackson/Jones sont là. Je fais même signer mon livre à John Robinson, Siedah Garrett et Rod Temperton. Toutefois, je ne le fais pas avec Quincy Jones alors que je le croise dans la rue, un peu à cause d’une sorte de blocage et aussi du fait d’être impressionné par le personnage. J’avoue un peu regretter ce choix sur le coup et je me dis que je me lancerai la prochaine fois. C’est le cas dès l’année suivante lorsqu’il vient au Festival de Jazz à Vienne en Isère. Je raconte cette anecdote dans mon avant-propos de Let’s Make HIStory car elle est liée au fait de me lancer dans ce projet.
« Un an plus tard, je souhaitais donc conjurer le sort et lui offrir mon livre, et je l’attendais donc devant l’entrée des artistes du Théâtre Antique en profitant ainsi du soleil estival.
Au bout de quelques temps, ma patience finit par être récompensée puisque la voiture de Quincy Jones se gare tout juste devant l’entrée, et je m’avance devant sa portière pour être certain de pouvoir lui parler. Avant de commencer ma démarche, je m’assure que son garde du corps ne voit pas d’objection à ma présence : le hochement de tête de ce dernier est là pour me rassurer. Je me lance donc en tendant mon livre à Mr Jones qu’il veut instantanément signer mais je lui précise alors qu’il s’agit là d’un cadeau. Il me remercie de mon geste mais à cet instant, je n’ai pas la certitude qu’il sache que j’en suis l’auteur. Il commence d’ailleurs à plaisanter en disant : « Mais qui était le producteur ? Est-ce qu’il était en studio ? Il a pu tout inventer !! » Echange amusant où sous la forme d’une boutade, Quincy posait des questions et interrogations légitimes quand un inconnu se dirige vers vous pour présenter un ouvrage où votre nom est mentionné à maintes reprises. Cette discussion avec un illustre interlocuteur avait été furtive mais pourtant, elle me revenait souvent en tête comme si j’avais quelque chose à retirer de tout cela.
Ma réflexion mûrit donc encore pendant quelques mois tandis que nous approchions de cette nouvelle année 2015. A ce moment-là, j’ai songé à l’opus HIStory qui allait fêter ses vingt ans, comme une nouvelle pièce d’un puzzle assez personnel dans ma tête, mais qui allait bien finir par s’assembler. J’ignorais si d’autres personnes allaient s’engager dans divers projets afin de célébrer cet anniversaire particulier, mais mon attachement à ce double album était une raison suffisante pour me convaincre de continuer ma vie d’auteur. Quel rapport avec ma discussion avec Quincy Jones, me direz-vous ? Eh bien, j’allais donner raison à ce dernier en offrant la parole à ceux qui étaient présents en studio pour n’avoir rien à inventer ! J’allais donc éplucher le livret du double album (et triple vinyle) le plus vendu de tous les temps afin de contacter un maximum de protagonistes qui apporteraient leurs témoignages. »
C’est ainsi qu’est né ce projet et il l’a influencé de façon indéniable mais je n’avais pas précisé à l’époque que le fait de lui donner mon livre (et mes coordonnées) m’avait permis de rentrer en contact avec son staff. Je n’ai jamais raconté que le lendemain (à moins que ce soit le surlendemain !), je reçois un mail de Quincy Jones Productions. On m’explique ainsi que Monsieur Jones aimerait des traductions de chapitres où il est impliqué. Cela a été une motivation supplémentaire pour aller plus loin dans mes projets et cela m’a forcément décomplexé, me montrant que rien n’est impossible pour moi, le petit auteur français sorti de nulle part.
Lorsque Let’s Make HIStory est paru, j’ai continué d’échanger avec son staff et ils m’ont garanti qu’un exemplaire lui avait été transmis. C’était forcément une bonne nouvelle et j’étais ravi de cela. Toutefois, le fait de lui donner un exemplaire en mains propres était un souhait très fort et c’est ainsi que j’ai roulé vers Montreux pendant le Festival en juillet 2017. J’avais amené un exemplaire à son attention, tout en apportant mon exemplaire-test que j’ai aimé faire signer à de nombreux collaborateurs de Michael Jackson. C’est ainsi que j’arrive vers 19h à l’auditorium Stravinski en sachant qu’il est présent tous les soirs. Montreux est une ville calme et paisible où je me suis déjà rendu plusieurs années de suite, donc je sais exactement où il sortira et qu’il n’y aura pas foule. Rien de compliqué pour ma mission, je connais bien les lieux. Toutefois, il fallut être patient car il finit par sortir à 2 heures du matin, et lorsqu’on sait qu’il avait alors 84 ans, on ne peut que le féliciter de continuer ainsi à faire la fête. Vu l’heure tardive, je sais que ce sera une brève rencontre mais l’essentiel est là car je peux lui donner un exemplaire signé et il fait de même en me faisant une belle dédicace en français sur mon exemplaire-test. Je sens ainsi tout son respect et sa bienveillance, et cela restera l’un de mes meilleurs souvenirs.
Quincy Jones reviendra à Montreux en 2018 et je serai présent lors du concert célébrant son 85ème anniversaire en petit comité (aux alentours de 200 personnes) au Montreux Jazz Club, mais l’année suivante sera encore plus marquante. Il faut dire que cette fois-là, Tom Bähler fait le voyage jusqu’en Suisse pour assister au concert que son ami Quincy Jones organise avec une pléiade d’artistes comme Ibrahim Maalouf et M. Je viens de mon côté d’assister au concert de Janet Jackson au premier rang avec la présence de Quincy en ouverture et sur le côté de la scène tout au long du concert. Il a d’ailleurs fait un signe, tout sourire, vers moi mais mon voisin anglais de devant de scène, Marc, m’a accompagné et c’est un habitué du festival qui connait bien Q depuis des années. Voilà pourquoi je ne m’enflamme pas à ce sujet car c’était sans doute pour lui. De toute façon, ça ne freine pas mon enthousiasme pour le concert à venir et la venue de Tom. Ce dernier a commencé à collaborer avec Michael Jackson et Quincy Jones il y a plus de 45 ans et est heureux de bientôt retrouver son vieux complice. Nous passons la journée ensemble et lorsque le show est terminé, nous l’accompagnons avec Laetitia et Marc jusque dans le hall de l’hôtel pour attendre celui que vous savez. En fait, Quincy ne savait pas que Tom Bähler l’attendait, c’était une surprise. Je n’oublierai jamais ce moment où Quincy est apparu et où ils se sont vus. C’était à la fois beau et touchant. Tom avait signé mon maxi 45 tours de « Ease On Down The Road », le duo entre Michael Jackson et Diana Ross, qu’ils avaient produit ensemble pour The Wiz. Vous vous doutez alors que j’avais en tête de faire de même avec Q… Mais lorsque je les ai vus se retrouver, je n’ai pu interrompre cette alchimie dont j’étais un témoin privilégié. C’est ainsi que j’ai vu Quincy Jones pour la dernière fois et c’était magique.
Depuis, Quincy a continué d’être une inspiration comme l’est Michael, et j’ai développé des travaux en ce sens. Malheureusement, je ne pourrai plus les lui faire parvenir mais je continuerai à lui rendre hommage comme je le fais avec Michael mais aussi Bruce Swedien et Rod Temperton. Ainsi des pages se tournent mais j’ai le sentiment qu’il faut continuer à honorer à tous ces fabuleux artistes.
Reposez en paix Monsieur Quincy Jones, et surtout Thank Q !