12 Octobre 2013
Tenter de vous faire revivre cette conférence, en vous apportant un maximum de précisions, telle est la tâche que m’a confiée le MJBackstage. Je vais donc ici exprimer ce que j’ai ressenti lors de ces quelques heures d’évasion, comme si nous étions en studio avec MJ, en évoquant ce qui m’a le plus marqué.
J’arrive au « American Center For The Arts » et je me retrouve parmi les autres privilégiés, regroupés dans une petite salle. Quelques disques de platine, amenés par Brad dans ses bagages, rappellent que nous allons entendre parler d’une musique appréciée par des millions de gens, ce qui contraste avec l’ambiance intimiste du jour, si rare dans l’univers Jackson. Nous prenons place alors qu’est diffusée une version instrumentale de « Cheater » et que Brad salue chaque personne du public. Le climat est donc convivial, agréable et serein, avant que le technicien ne commence à nous conter, durant plus de quatre heures, son aventure musicale. Ceux qui ne parlent pas l’anglais ne sont pas déroutés puisque la traduction est assurée par Richard Lecocq.
Tout d’abord, Brad Sundberg se présente humblement comme un technicien qui a rencontré MJ en 1985, pour travailler sur les chansons de Captain Eo (il nous fait écouter « We Are Here To Change The World »). Il précise cependant qu’à la base, il était un fan de Hard Rock, notamment de Van Halen et d’ACDC, détail non anodin qui indique qu’il apprécie davantage, dans la discographie de Michael, les titres marqués par cette influence. Il ajoute également que c’est Bruce Swedien qui était aux commandes, et il le désigne comme son mentor. A cet instant, j’ai le sentiment qu’il prend le relais de son ainé pour continuer la transmission du savoir dans les années futures.
Brad nous invite à écouter « Scared Of The Moon ». Il justifie son choix en expliquant que Michael avait perdu la bande master du morceau. Matt Forger avait réussi à sauver le travail en partant d’une cassette audio complétée par un orchestre dirigée par Marty Paich. Une performance technique pour une anecdote qui amena la règle connue de tous les techniciens : ne plus rien confier au Roi de la Pop ! Nous connaissons très bien ce titre, mais la qualité sonore de son matériel me fait redécouvrir la chanson, m’aidant à mieux cerner ces petits détails qui font toute la différence, comme des arrangements sucrant nos tympans.
Cette impression se confirme à l’écoute de la version extended de « Bad ». Brad raconte que chaque musicien avait joué de 8 à 9 minutes, A l’époque, Bruce Swedien avait puisé dans ce que chacun avait de meilleur, et Brad nous en fait la démonstration en jouant avec chaque piste de la chanson, ajoutant ou enlevant tour à tour la voix de MJ, les chœurs, la basse, la batterie ou la guitare pour mieux nous faire comprendre le déroulement du mixage, tel un cuisinier dosant ses ingrédients pour rendre son plat plus succulent.
Brad poursuit sur cette phase créative développée pour « Bad » : il révèle que ce titre a été pitché (accéléré) de 5 à 6% et le justifie comme une volonté d’être en phase avec les sonorités de l’époque. Il nous laisse découvrir la chanson dans son format original, légèrement plus lent et du coup moins accrocheur.
Le technicien en profite pour signaler que l’album, paru en 1987, marque le début des travaux où des ordinateurs supplantent des instruments. Parfois, ces nouveaux appareils tombaient en panne, ce qui exaspérait Quincy Jones. Ce dernier déclarait même préférer payer jusqu’à 10 000 dollars les frais de musiciens plutôt que de subir ces contretemps. Brad n’avait pas connu cette période où les enregistrements étaient exclusivement réalisés avec des virtuoses en studio et ne cernait pas vraiment ce que Q voulait dire. Il finit par le comprendre en écoutant la démo de « I Can’t Help It » où MJ est entouré de Greg Phillinganes au piano, de Louis Johnson à la basse et de John Robinson à la batterie. Un procédé, somme toute habituel pour élaborer des démos, et qui est également visible sur le DVD du Making Of de « We Are The World ».
Brad nous offre alors un beau cadeau (et ce n’est que le premier…) en partageant avec nous cette fameuse démo. La voix de Mike est un régal et on croirait entendre l’émission MTV Unplugged. Une façon de confirmer qu’il est inutile de faire appel aujourd’hui à des producteurs actuels pour réaliser, sur de futurs albums posthumes, des versions retouchées.
Cette authenticité artistique est également mise en valeur par la fameuse introduction de « I Just Can’t Stop Loving You ». J’apprends, à ma grande surprise, que l’anecdote du lit amené en studio pour la réaliser est authentique. MJ l’avait racontée dans une interview, mais cela m’avait toujours paru surréaliste. Cette conférence avec un témoin de l’époque permet de clarifier certains doutes. Brad rappelle que cette intro avait été très mal accueillie lors des premiers passages à la radio, d’où sa disparition sur les pressages ultérieurs de l’album. Toujours d’une honnêteté sans faille, l’ingénieur du son avoue ne pas vraiment l’apprécier, comme de nombreux auditeurs américains à l’époque.
Il est vrai que Brad aime davantage une autre introduction : celle que Michael a effectuée sur « The Way You Make Me Feel » pour les Grammy Awards en 1988 et enregistrée dans sa chambre d’hôtel. On avait garé un camion devant l’hôtel et on l’avait relié par de longs câbles pour réaliser cette prouesse technique. Quand Brad raconte cette performance, on ressent toute sa fierté pour la bonne qualité sonore du morceau, malgré les conditions difficiles.
L’ordre chronologique est respecté puisque l’on passe ensuite à la présentation de l’album Dangerous. C’est l’occasion pour Brad d’expliquer deux visions du métier de producteur : l’une avec Bruce Swedien, très méticuleux au moindre détail et l’autre avec Bill Bottrell, très décontracté avec son pack de bières ! Brad a peu croisé Teddy Riley et il ne brode rien à ce sujet. J’apprécie cette sincérité et cette simplicité chez lui, il ignore l’existence de certaines démos (ou fantasmes de fans) et nous fait part uniquement de ce qu’il a vécu.
L’album de 1991 nous amène à découvrir quelques autres démos, dont celles de « Black Or White » et « Heal The World » avec des paroles alternatives. Celle de « Someone Put Your Hand Out » diffère également de la version finalisée, au point qu’on ne la reconnait plus jusqu’au refrain. Il y a tant de trésors dans ces coffres ! Rien que d’y songer, c’est de la folie !… La suite va confirmer ce sentiment puisque le son de batterie, concocté par Bruce Swedien et René Moore, première genèse de ce qui deviendra « Jam », est une autre pépite qui nous est offerte. Quand Brad Sundberg nous permet ensuite d’écouter « Monkey Business », je sens qu’il l’apprécie beaucoup, tout comme « Streetwalker » (dont nous entendrons trois versions différentes) et « For All Time ». J’ajouterai que les conditions optimales d’écoute concrétisent une chose quasi impossible : rendre la chanson plus belle qu’elle ne l’est.
Le thème des démos n’est pourtant pas encore complètement terminé puisque nous apprenons une information de taille pour celle de « Dangerous ». Pour des raisons acoustiques, Michael disposait autour de lui des panneaux, qui se sont effondrés sur lui au début de sa prestation. Notre idole, toujours hyper professionnel, a continué de chanter malgré la douleur. Bon à savoir : le bruit de la chute a été conservé, on peut l’entendre en introduction sur la démo publiée dans le coffret Ultimate Collection.
Nous avons alors droit à un superbe document audio où on entend MJ, accompagné de Brad et de Bill Bottrell à la guitare pour une session studio qui aboutira à « Give In To Me ». Les goûts de Sundberg pour le rock ont peut être influencé ce choix, et on l’en félicite. Il s »agit d’une pièce de choix. Nous avons l’impression d’être là avec eux, et nous nous sentons tellement privilégiés à cet instant d’être présents dans cette salle. La durée totale de cet enregistrement est de deux heures mais le technicien n’en livre qu’un résumé de douze minutes, allant à l’essentiel. Bill, musicien polyvalent, manie lui-même la guitare, en écoutant les instructions de MJ. Ce dernier est très détendu, au point de s’échauffer avec quelques paroles comme « Like the FBI, like the BBC, like BB King… » (J’apprendrai un peu plus tard qu’il s’agit de la chanson « Dig It » des Beatles). Cette décontraction génère de nombreuses idées et nous sommes aux premières loges pour entendre l’évolution de cette esquisse qui deviendra le tube aux sonorités métal de l’album Dangerous. Ces petits riffs de guitare confèrent à cette démo une version très proche de la version finalisée, au point qu’il ne manque pratiquement plus que les accords de Slash.
A ce moment-là, je suis tellement scotché par ce document que je pense sincèrement qu’il restera mon favori de la journée, mais Brad n’a pas encore usé de toutes ses cartes. C’est chose faite lors de l’évocation des sessions en studio de l’album HIStory pour lesquelles nous avons droit à quelques vidéos inédites.
L’occasion nous est offerte de voir la chorale d’Andrae Crouch s’échauffer sous les yeux de Michael (très impressionné par les talents vocaux des chanteurs), puis se donner corps et âme sur les sonorités de « They Don’t Care About Us ». Cette complicité musicale avec MJ, s’étalant sur plusieurs albums, sonne alors comme une évidence.
Un autre document intimiste, sur la musique de « Smile », dévoile toute l’équipe technique en train de peaufiner l’album. C’est une « famille » pleinement soudée dont témoignent ces images, où le côté humain et relationnel supplante un instant le côté musical, la fibre artistique étant à la fois émouvante et touchante, loin de la pression des chiffres de vente et des intérêts commerciaux. Une belle leçon pour mieux saisir l’ambiance du processus créatif de notre idole.
Enfin, cadeau suprême de ce séminaire : l’enregistrement en studio de « Childhood » ! Michael nous offre ici une performance en une seule prise, accompagné d’un orchestre philarmonique et du piano de David Foster, co-producteur du titre. Avant de commencer à chanter, il lui donne d’ailleurs quelques consignes.
Après quoi, Michael se lance dans une performance vocale de très haut niveau, conscient qu’il ne peut faire rejouer l’orchestre à sa guise. Je lui découvre un visage inédit pour moi, comme si ses prouesses en studio ne pouvaient se reproduire sur scène. Ses expressions faciales sont celles d’un artiste donnant le meilleur de lui-même et expriment toute sa puissance et ses talents vocaux. La star vit pleinement son œuvre, au point de sourire et de jubiler lorsque l’orchestre, à son tour, effectue des prouesses. J’aimais « Childhood », mais mon intérêt pour cette composition est désormais décuplé à cette vision… Je ne peux l’expliquer davantage, car mes écrits n’auront jamais l’intensité de l’instant vécu à ce moment. Ceux qui ont assisté à la conférence comprendront ces lignes… C’était tout simplement magique ! Cet après-midi restera un de mes grands souvenirs de fan.
Je remercie tous les protagonistes de ce merveilleux moment de joie, de découverte, de partage et de rencontre. Très grand merci en particulier à l’association Music First, organisatrice de l’événement. Enorme merci évidemment à Brad Sundberg qui a salué non seulement le travail d’artiste de Michael, mais également, et c’est très important, les qualités de l’homme. Nous le savions déjà, mais c’est tellement agréable de partager notre amour pour MJ qu’il ne faut bouder notre plaisir.
Restent encore de cette journée, les rencontres enrichissantes avec les fans que j’ai vus ou revus en cette occasion. Ce type d’événement est vraiment essentiel pour conserver et faire fructifier l’héritage que le Roi de la Pop nous a laissé.
Je n’oublie pas non plus Phildaar, Mike92, JC08 et DS du forum MJFrance dont les comptes-rendus et les précisions m’ont aidé à rendre cette revue plus complète et détaillée. Merci à tous.
source: MJBackstage 2.7