Catégories
Lecture

« The Gospel According To Luke » de Steve Lukather

(Post Hill Press – 2018)

Une autobiographie d’un musicien est le type de littérature que je peux dévorer en quelques jours. C’est d’autant plus valable si j’affectionne le personnage et lorsqu’il s’agit de Steve Lukather, le guitariste du groupe Toto, cela devient forcément un passage obligé. Il est vrai que j’ai vu cet homme plus que tout autre sur une scène. C’est arrivé précisément 25 fois (9 fois en solo et 16 fois avec Toto) ! Vous pouvez donc imaginer son importance dans mon parcours de mélomane. Il est vrai que l’homme et sa musique m’ont beaucoup accompagné dans mon quotidien. Mais là n’est pas le sujet, me direz-vous. C’est bien de la vie de Steve Lukather qu’il est question, et elle méritait bien un livre, croyez-moi !

Il est bon de préciser qu’il s’agit bien du récit d’une vie et pas uniquement d’une carrière.
L’occasion de se plonger dans l’enfance du musicien et de se laisser porter par ses mots. Avec ce choix de jouer de la guitare, on analyse davantage le personnage par ses origines familiales et ses influences musicales. Un garçon dont on ne soupçonnait pas le destin mais qui, à défaut d’être un leader avec ses camarades d’école, avait cette volonté d’aller au bout de ses rêves. La musique était une échappatoire, n’en déplaise à l’un de ses professeurs qui voulait le décourager en ce domaine. Ses parents étaient là pour le soutenir et c’était l’essentiel. Dans ces premières pages, on découvre un enfant aux antipodes de l’adulte que nous connaissons aujourd’hui. Une période qu’on pourrait assimiler à une sorte de préhistoire dans l’univers Lukather, bien avant que la lumière des projecteurs et des premières sessions en studio ne démarre.

Il est vrai que lire ces précieux souvenirs était une principale motivation pour l’achat de ce livre. Une époque révolue malheureusement, datant du siècle dernier, où les plus grands producteurs enrôlaient les meilleurs musiciens pour différentes sessions. Los Angeles était la place forte du son Californien de la West Coast. Steve Lukather en est l’un des grands ambassadeurs, avec une discographie longue comme le bras. C’est en véritable requin de studio qu’il exerce sa profession à partir de 1977 pour ralentir à partir du milieu des années 90, privilégiant les collaborations et les gens qu’il affectionne. Variant tous les styles, d’Olivia Newton-John à Meat Loaf en passant par les Brothers Johnson et Elton John qui tenta même de le débaucher pour son propre groupe. Lire les souvenirs du guitariste sur tous ces fabuleux albums, c’est un peu revivre toute l’histoire du son californien, tellement l’artiste en a été l’un des plus grands artisans. On se plait alors à s’imaginer l’accompagner dans sa Ferrari, cheveux au vent, pour arpenter les routes de Los Angeles. Une période 80s tellement folle avec quelques excès que le musicien ne cherche pas à dissimuler. C’est avec plein de recul qu’il jette un regard dans le rétroviseur. Toutefois, il n’a pas compté les nombreuses heures de travail pour finaliser un album. Et l’anecdote de Beat It où Quincy Jones le pousse dans ses retranchements afin qu’il offre ce célèbre riff en est un parfait exemple.

Les souvenirs en studio sont nombreux et on les dévore tellement tout cela est raconté sans concession, au point d’écorner le statut et l’image de certaines personnes, mais cette franchise est l’un des attraits de ce témoignage.

Mais ce livre est surtout l’occasion pour Lukather de raconter l’histoire de son groupe. Il est vrai qu’il reste le seul membre à n’avoir jamais manqué un concert de Toto ces 40 dernières années. On décèle alors davantage l’importance de son amitié avec Steve Porcaro. Ce dernier le présente à son frère Jeff et à David Paich qui sont les co-fondateurs du groupe. En tournant les pages, nous sommes immergés dans l’évolution du groupe californien pendant quatre décennies jusqu’à cette tournée 2018. On mesure alors l’envers du décor avec parfois des disputes qu’on ne soupçonne pas forcément, tant on les imagine vivre une vie formidable. Peut-être les envions-nous tellement jusqu’à parfois les idolâtrer qu’on leur interdirait, dans notre inconscient, d’avoir des problèmes. Non, tout n’a pas été un long fleuve tranquille mais Toto a vendu des millions d’albums avec de nombreux tubes et, bien évidemment, les bons moments sont également mis en avant. Je songe bien sûr à l’album IV récompensé comme il se doit aux Grammy Awards en 1983. Toutefois, loin du strass et des paillettes, nous aimons avoir cette sensation d’être avec eux en immersion dans le studio. Comme le fait que, au départ, Luke était un peu inhibé pour composer ses chansons tellement David Paich était prolifique en ce domaine. On le voit ainsi grandir et gagner en maturité au fil des pages, pour parvenir à écrire lui-même ses propres tubes. Toute cette expérience emmagasinée le forgera pour devenir à son tour le leader du groupe. J’ajouterais qu’il est de notoriété publique que Toto a eu quelques problèmes avec ses différents chanteurs, mais c’est l’occasion de mieux comprendre les raisons de ces nombreux changements. Ce qu’il faut retenir de ces hauts et de ces bas qui sont le lot d’une vie, c’est que le groupe est en train de fêter son quarantième anniversaire. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec cette citation de Rocky Balboa : « Toi, moi, n’importe qui, personne ne frappe aussi fort que la vie, ce n’est pas d’être un bon cogneur qui compte, l’important c’est de se faire cogner et d’aller quand même de l’avant, c’est de pouvoir encaisser sans jamais, jamais flancher. » Pour l’anecdote, Stallone, lui-même, voulait des cours de guitare par Monsieur Lukather, c’est dans le livre!

Les admirateurs de ce dernier ont bien conscience que son univers musical ne se limite pas uniquement à Toto. C’est dans un autre contexte, peut-être plus personnel et intimiste, qu’il vit ses projets en solo et ceux-ci sont également abordés avec précision. A titre d’exemple, j’ai vu cet artiste jouer avec son groupe dans de grandes salles mais j’ai autant apprécié de le voir en solo dans des lieux plus confidentiels. Il m’a apporté un autre regard sur la musique et m’a ouvert l’esprit avec des concerts dans le charme de petites salles. L’occasion de lui dire ma reconnaissance car ses albums solos m’ont également beaucoup accompagné ces dix dernières années. Au point de parfois m’identifier sur de nombreuses compositions et de le dire sur son mur Facebook. Un like et un commentaire du principal intéressé suivaient, et j’étais ainsi comblé. Sans parler des quelques rencontres et brèves discussions qui m’ont forcément marqué, il s’agit bien là d’un artiste qui a compté et dont je me devais de lire les mémoires. Celles-ci n’oublient pas de relater également son intégration dans le groupe de Ringo Starr depuis quelques années. On ressent sa joie à faire partie de cette aventure, d’autant que l’influence des Beatles et de George Harrison depuis son adolescence se ressent pleinement dans notre lecture. Une façon de boucler la boucle, pourrait-on dire…

D’une manière plus générale, vous aurez beau vous documenter et lire les nombreuses interviews de Lukather sur le net, celles-ci ne rentreront pas autant dans le détail comme c’est le cas dans cet ouvrage. A ce propos, le musicien se livre totalement sur des questions que nous n’oserions pas lui poser. Je pense bien évidemment à tous ses proches qui sont partis trop tôt et c’est également l’occasion de leur rendre hommage en revivant avec l’auteur ces nombreux moments de tristesse. Ce sont des moments poignants, et je n’aurais pas la prétention de tenter de les retranscrire ici. Leurs places semblent uniquement dans ce livre et dans le cœur du principal intéressé.

L’auteur aborde également sa vie privée car il s’agit bien là de l’histoire d’une vie et non uniquement d’une carrière dans le show-business. Elle fait partie intégrante du récit et, au fil des pages, entre les sessions studio et les tournées, nous comprenons qu’il n’est pas aisé de trouver le bon équilibre pour la vie de famille. Finalement, tout semble lié car ses expériences de la vie ont forcément eu un impact sur sa musique et c’est un bon moyen d’analyser celle-ci. Humainement, c’est également un message plein d’enseignement. Ses deux divorces, avec à chaque fois deux enfants en bas âge, font partie de ses épreuves. J’ai été touché par cette volonté de rester proches d’eux malgré la séparation, tel un papa luttant face à l’adversité, ce qui peut également résumer le personnage.

J’avais donc cette soif d’en apprendre davantage à son sujet avec ce « The Gospel According To Luke », écrit en collaboration avec le journaliste Paul Rees. Je félicite d’ailleurs ce dernier car il a su retranscrire ses conversations avec Luke sans chercher à les édulcorer. On ressent bien que ce sont les mots du musicien, son expérience de la vie à travers ses joies et ses peines, matérialisés par quelques jurons qui rendent finalement le personnage attachant, car c’est ainsi que nous l’apprécions, en tournant les pages.

Un témoignage sincère, juste avec le recul nécessaire sur 60 années d’une vie dont 40 dans le show-business.

Cher Luke, merci pour ce bel ouvrage passionnant ! J’ai fait l’effort de ne pas citer un autre artiste que j’affectionne, tellement cela aurait été prévisible de ma part. Je t’ai vu tourner les pages de mon livre à son sujet, et c’est l’un de mes plus beaux souvenirs. Je n’allais donc pas remettre une couche au moment de parler de ton propre ouvrage. Toutefois, j’ai bien noté qu’un Triple disque de Platine Victory semble encombrer ton garage, alors si je peux t’aider à t’en débarrasser, je suis ton gars ! En toute amitié ! Et Merci pour tout !

https://www.stevelukather.com/