Bill Nation

 

En 1996, la promotion de l’album HIStory battait son plein pour notre plus grand plaisir. Outre les vidéo-clips, Michael Jackson réalisait des performances télévisées lors de cérémonies comme pour mieux annoncer sa tournée à venir, sans oublier le concert de Brunei. Ma volonté d’enquêter sur cette période est toujours présente, et c’est ainsi que j’ai contacté le photographe Bill Nation afin d’évoquer ses souvenirs à ce sujet. L’occasion de lire le témoignage d’un des acteurs de la dernière promotion aboutie d’un album du Roi de la Pop.

Comment est venue cette passion de la photographie, au point d’en faire votre métier ?

Mon père avait toujours des appareils photos, ainsi que des caméras. J’ai grandi à Chattanooga, dans le Tennessee, et mon père tournait toujours des films 16 mm en noir et blanc de mes frères et moi lorsque nous étions enfants. Il était fasciné par ça. Il avait une entreprise familiale qui fabriquait des chaussettes, donc au début, il faisait des annonces à la radio, puis quand la télévision a été inventée, il sortait et filmait ses propres films muets de sport avec son appareil photo, et les faisait diffuser à la télévision. Il avait aussi des appareils photo, en particulier un Rolleiflex, un appareil photo à double objectif, que je possède aujourd’hui. Il prenait toujours des photos et il nous apprenait à le faire, à mes frères et moi. Il avait aménagé une petite chambre noire dans la buanderie, et le soir, il calfeutrait toutes les fenêtres et nous montrait comme c’était magique de développer la pellicule et de faire apparaître les photos avec le projecteur. Je suppose que c’est là que j’ai développé le goût de la photo et de sa magie De plus, à la maison, il y avait toujours des magazines Life et des National Geographic, donc j’étais un lecteur et je les ai beaucoup parcourus. Je suppose que c’est de là qu’est née ma fascination. J’ai commencé à prendre des clichés, et au cours de ma dernière année de lycée, il me semble, j’ai travaillé un peu pour le Yearbook, et c’est ainsi que j’ai commencé à explorer ce domaine. Lorsque je suis arrivé à l’université du Tennessee, j’ai trouvé un emploi pour le journal des étudiants, et c’est là que j’ai vraiment eu un déclic parce que tout d’abord, c’était une excellente entrée car je pouvais aller n’importe où. Si vous aviez votre appareil photo, c’était votre passeport : vous étiez invité dans tous les endroits, vous aviez un accès et une raison d’être là. Techniquement, je n’étais pas très… bon (rires) mais je m’en suis sorti et j’ai aussi gagné un peu d’argent en faisant ce que j’aimais faire. Du coup, je me considérais comme photojournaliste : j’étais très intéressé par les événements et les actualités. J’ai donc terminé mes études universitaires et j’ai obtenu un emploi au journal local avec un de mes amis. Nous avons essayé d’intégrer progressivement la Gazette qui était là depuis 30 ans : on nous a confié des missions lorsque des gens venaient en ville pour des concerts et autres, et j’ai pu photographier les concerts ou les politiciens.

Quel était votre parcours de photographe avant de travailler avec Michael Jackson ?

Je travaillais à plein temps pour le journal et de là, un groupe de gars que j’avais connus étaient partis à l’Art Center College de Pasadena, dont un en particulier, George Holt, qui est en fait aujourd’hui un très bon photographe de mode, que nous avons décidé de suivre, et nous nous sommes retrouvés à l’Art Center College, une école de design connue dans le monde entier pour son travail et son design automobile. Leur département de photographie était alors très en vue à l’époque et je suis resté en Californie à partir de ce moment-là : c’était en 1980 et j’avais 25 ans, donc c’était fantastique ! C’était un programme de 8 trimestres mais j’avais déjà un diplôme, donc après 4 trimestres, je me suis approché et j’ai trouvé un emploi qui m’a permis de voyager en Europe. Ils me payaient un peu et je prenais des photos pour une agence de voyage. À partir de là, j’ai commencé à décrocher des emplois, et en général, le parcours débute en travaillant en tant qu’assistant pour des photographes. Un gars remarquable pour qui j’ai travaillé était John G. Zimmerman : c’était un photographe illustrateur sportif très innovant à l’époque et nous avons pu photographier Christie Brinkley, donc c’était cool ! Vous êtes une sorte d’esclave de la photo mais vous apprenez beaucoup de choses ! À un moment donné, je suis allé à New York et les choses ont commencé à se mettre en place. Je suis allé chez Sygma Photo News, l’agence de presse française, et j’ai dit que je voulais travailler pour eux. La femme qui était là à l’époque était la chef des opérations à Los Angeles, Françoise Kirkland, et elle était mariée à Douglas Kirkland qui était aussi un photographe de mode glamour assez connu. Ils ont commencé à me donner des emplois et des missions. L’avantage de travailler pour une agence, c’est que je travaillais tous les jours, alors que beaucoup de gars et de filles avec qui j’allais à l’école, en tant que photographes commerciaux par exemple, obtenaient quelque chose mais n’avaient rien à faire pendant un certain temps. En tant que photojournaliste, je devais sortir et trouver des choses à faire juste pour m’assurer d’avoir des images à envoyer. L’un des moments forts de cette période a été lorsque j’ai couvert le procès d’OJ Simpson. J’ai rencontré l’écrivain Dominick Dunne, qui travaillait pour Vanity Fair, donc j’ai pu donner un très bon aperçu de ce qui s’y passait. Je touche encore de l’argent pour ces photos, d’ailleurs. À côté de ça, je faisais les reportages habituels, les inondations et les incendies…

Pendant cette période, vous avez photographié Michael Jackson lors de la cérémonie des Grammy Awards et lors de sa cérémonie d’intronisation pour son étoile à Hollywood Boulevard, en 1984…

Comme j’étais à Los Angeles, je le croisais à l’occasion mais je n’avais absolument aucun contact direct : je faisais partie de la presse, vous savez, derrière les cordons de sécurité. À l’époque, je ne rêvais pas du tout de travailler à plein temps pour lui et je n’avais d’ailleurs aucune vue sur qui que ce soit.

Au bout d’un bon moment à travailler de cette manière, j’ai été présenté à l’assistant d’Helmut Newton alors que lui-même et sa femme June se trouvaient à Los Angeles. Pendant deux hivers, j’ai été son assistant et celui de June parfois. J’allais au Château Marmont, on se retrouvait et on montait dans la voiture : je le conduisais dans les environs et on faisait des photos. Il avait une technique de travail très simple, avec un seul projecteur, une maquilleuse, moi et c’est tout ! Pour tout vous dire, il transportait son matériel dans une caisse de lait ! (rires) C’était un homme charmant, très respectueux de son entourage, tout comme l’était Michael.

En 1996, vous devenez l’un de ses photographes officiels. Comment avez-vous été engagé pour ce travail ?

Mon ami Jonathan Exley était son photographe. On était amis depuis longtemps : nous partagions la même passion pour les courses de voitures et je l’ai rencontré à travers la moto. C’était un peu une star dans le milieu et Michael Jackson voulait un photographe à ses côtés en permanence : il me semble que l‘un des Beatles lui avait dit qu’ils regrettaient de ne pas avoir davantage filmé et pris des photos pour documenter leur carrière. Mais mon ami Jonathan n’était pas vraiment intéressé à l’idée de devoir rester là des jours et des jours, avec le risque que rien ne se passe ou même de ne pas voir Michael. Il m’est arrivé de me retrouver avec mon appareil photo à simplement passer du temps avec lui ou encore de venir avec des assistants et de l’éclairage pour monter un dispositif complet, et d’attendre qu’il se montre.

Quoi qu’il en soit, Jonathan pensait que ce serait bien que ce soit moi qui prenne le job. En février, Michael est allé au Royaume-Uni pour les BRIT Awards et il a emmené John qui m’a pris comme assistant, ainsi que des tonnes de matériel. C’est là que j’ai goûté pour la première fois à cette manière différente de travailler. On séjournait au Lanesborough Hotel, un très bel hôtel, au passage !


Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Michael Jackson ?

Notre première rencontre a donc eu lieu tandis que Michael répétait pour les BRIT Awards car il devait y présenter un numéro, et je me trouvais parmi une cinquantaine de personnes environ, devant la scène. Il est arrivé vêtu d’un pantalon de jogging et le regard un peu baissé, mais dès que la musique a démarré, il s’est mis à danser et je suis resté bouchée bée ! J’étais épaté par sa façon de bouger dans tous les sens ! Une fois qu’il a eu terminé, Jonathan m’a regardé et a dit : « Eh ouais, quand il démarre, il démarre ! » Ensuite, Michael est redevenu très calme. C’est la première vision que j’ai eu de lui.

Nous nous sommes alors mis au travail et Jonathan a réalisé quelques portraits de Michael. Il m’a recommandé à lui pour être son photographe au quotidien ce qui impliquait de passer beaucoup de temps à ses côtés. Finalement, je pense qu’ils se sont dit que je serai là pour tout ce qu’il ferait. C’était un peu étrange parce que Jonathan ne serait pas avec moi et ferait autre chose de son côté. C’est donc comme ça que j’ai été choisi et engagé mais il n’y a jamais eu de contrat à proprement parler. J’ai bien évidemment dû signer des tas de clauses de confidentialité, et malheureusement, je ne dispose d’aucune de ces images : tout le travail que j’ai effectué est probablement stocké dans un entrepôt dans la vallée de San Fernando.

J’ai donc commencé à travailler avec Michael : je suis allé à Monaco une fois pour une autre cérémonie de récompenses et bien sûr, j’ai travaillé sur des tournages de vidéos à Los Angeles, pour « Stranger In Moscow », « Blood On The Dance Floor », ainsi que sur « Scream », la vidéo avec sa sœur Janet, où j’étais l’assistant de Jonathan. Je me souviens d’un décor très, très blanc, et que Jonathan le montrait comment fonctionnait l‘installation des éclairages : c’était un mur de lumière qui demandait beaucoup de travail à installer. Ce n’était pas encore l’ère du numérique et nous utilisions beaucoup de pellicules et de Polaroïds : c’était un autre monde ! Je n’avais encore jamais travaillé dans un contexte où, quoi que vous vouliez dépenser, vous pouviez le faire, et ça changeait tout ! En tant que photojournaliste pour Sygma, je coproduisais mon travail, c’est-à-dire que j’achetais des choses sur mes propres deniers et Sygma m’en remboursait la moitié. Nous avions un accord pour les magazines ce qui couvrait le reste de mes dépenses, mais c’était une manière différente de travailler et de se maintenir à flots. J’avais des précommandes et je travaillais peut-être 90 jours par an, parfois je me déplaçais mais la plupart du temps à Los Angeles.

Je travaillais avec une femme nommée Evy Tavashi qui était la manager des bureaux de production de Michael Jackson situés sur Sunset Boulevard. Il y régnait toujours une atmosphère un peu tendue, presque paranoïaque, et je n’aimais pas tellement ça car il y avait toujours des inquiétudes au sujet de photos qui pourraient sortir sans leur accord, entre autres. Un jour, je revenais du nord de la Californie en voiture et j’ai reçu un appel d’Evy sur mon téléphone portable qui disait : « Bill, des photos sont parues dans The Enquirer ! » J’ai fait : « Quoi ?! » Bon en fait, ce n’était pas mes photos ! (rires) Mais on devait toujours marcher sur des œufs et je ne sais pas si cela venait de Michael ou de son entourage. Il y avait beaucoup de gens qui alimentaient ce genre de choses car ils étaient là pour faire de l’argent sur son nom. Il avait le même entourage depuis des années et ces gens-là aimaient la manière dont les choses se passaient car c’était un bon filon. Mon ami Jonathan qui était un gars très perspicace disait qu’il aurait aimé que Michael décide tout simplement de monter un concert acoustique ou quelque chose de ce genre, en s’appuyant uniquement sur son immense talent. Mais tout est rapidement devenu un show énorme et tout cela coûtait très cher à mettre en place, parce que, à mon avis, Michael était très dirigé, alors que c’était un type très intelligent. Beaucoup de gens comptaient sur ce fonctionnement dont il était présenté, et pas un autre.

Avait-il des instructions ou des exigences particulières au sujet de vos photos ?

Nous avions des échanges, mais si c’était à refaire, j’essaierais d’en avoir davantage. Mais nous parlions, oui. La plupart du temps, il me dirigeait pour les photos car il s’y connaissait : il regardait les Polaroïds et les validait en disant « C’est bien, ça ! » ou « Mets plutôt la lumière à cet endroit. » Mais je n’avais pas accès à sa loge ou son salon d’habillage : il sortait quand il était prêt.

Vous étiez présent sur le plateau du clip de « Stranger In Moscow ». Pouvez-vous me raconter les coulisses de ce projet ?

J’ai bien aimé ce tournage car l’ambiance était noir sur noir, avec son imperméable noir et un arrière-plan noir. Mais c’est à peu près tout ce dont je me souviens ! (rires)

Pendant ce tournage, vous réalisez la pochette du single « Why » avec les 3T…

Oui ! Michael était très impliqué sur ce tournage. Il a amené les 3T et il a commencé à arranger leurs costumes : il a pris leurs chemises et les a déchirées. Il faisait des remarques, du style « Non, pas comme ça » et il me dirigeait sur cette session.

Vous photographiez également Michael Jackson pour son concert à Brunei pendant l’été 1996. Pouvez-vous partager vos souvenirs de ce show ?

C’était fantastique ! Nous avons appris que Michael avait quelque chose de prévu quelque part et ils ont constitué un groupe avec des musiciens mais aussi des danseurs car ils allaient devoir monter quelque chose tous ensemble. Il me semble que nous avons travaillé un moment à l’aéroport de Santa Monica. Nous avions également commencé à rassembler du matériel et j’avais une semaine pour finaliser. Ils avaient installé des scènes pour répéter. C’était amusant ! Les danseurs étaient des gens très sympas à côtoyer, ainsi que le costumier Michael Lee Bush et Karen Faye : j’ai passé la plupart de mon temps avec eux. Et puis, être le témoin de ce gros truc en train de se monter avec l’aide d’environ une cinquantaine de personnes.

Si je me souviens bien, c’était un concert pour fêter les 50 ans du Sultan de Brunei, et nous devions partir cinq jours. J’ai pris deux assistants avec moi, on nous a acheté des billets en Business Class sur Singapour Airlines et nous nous sommes envolés pour Singapour. Michael voyageait séparément dans son avion privé. On s’est installé là-bas, et le lendemain, à Brunei, nous avons eu un temps libre alors je suis allé faire un peu de tourisme avec quelques musiciens. Il y a eu quelques répétitions mais l’atmosphère était vraiment moite à Brunei ! (rires)

Faire des photos pendant un concert avec un artiste toujours en mouvement est forcément différent que lors du tournage d’un clip. Comment avez-vous appréhendé ce concert ?

On s’habillait toujours en noir pour ne pas se démarquer car Michael voulait que je sois sur scène. Je me sentais plutôt à l’aise dans ce contexte car en tant que photojournaliste, j’ai l’habitude de me retrouver au cœur de l’action. J’étais donc sur scène avec Michael pendant le concert, faisant des allées et venues, ou bien je me mettais devant, entre lui et le public, et je le photographiais en train de danser : c’était extraordinaire ! Je me visualisais moi-même et je pensais : « Je suis sur scène avec Michael Jackson pendant un concert ! » (rires) C’était chouette et vraiment génial !

Nous avons donc fait les concerts et il était très apprécié là-bas : il allait à la rencontre des gens et il se déplaçait parmi la foule. Il aimait beaucoup les gens, il était dans son élément. Il y avait deux personnes en lui, vous savez : Michael, le professionnel et Michael, tout simplement

Outre sa performance scénique, deviez-vous le prendre en photo tout au long de son voyage, un peu comme si vous étiez son ombre ?

Ce qui s’est passé, c’est que j’étais dans ma chambre d’hôtel, sur le point de faire mes bagages et de repartir, lorsqu’on m’a demandé mon passeport et annoncé que Michael allait effectuer un nouveau déplacement et que je partais avec lui. J’étais très étonné ! Il m’a donc emmené, ainsi que son assistant Michael Bush, et Karen Faye : en tout, une vingtaine de personnes serait du voyage. On est monté à bord de son avion privé avec Michael, donc, et quelques amis. Notre destination était l’Afrique du Sud mais il ne voulait pas nous dire où nous allions ! Le gars qui gérait le concert à Brunei n’arrêtait pas de lever les yeux au ciel en disant : « Mais qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce qu’on continue de dépenser de l’argent ? » (rires) Nous sommes montés dans des minivans et sommes allés à Soweto. Michael voulait visiter un site historique sur la révolte des africains donc nous sommes descendus des vans. Personne n’était au courant que nous étions là mais on avait quand même pour consigne de marcher très vite. On est arrivé au monument et tout à coup, il a fallu courir car nous étions en train de nous faire déborder par la foule ! On a couru jusqu’aux vans et vu les têtes des agents de sécurité, ça devenait chaud ! Alors, on est rentré à l’hôtel.

Le point culminant de cette expérience, et l’un des moments les plus marquants de ma vie, en fait, fut d’être conviés comme invités surprise à l’anniversaire de Nelson Mandela. Nous sommes arrivés devant sa maison dans deux ou trois vans, et on m’a envoyé avec un photographe local frapper à la porte. J’ai frappé, Nelson Mandela a ouvert la porte et j’étais là, un homme blanc du Tennessee qui avait entendu parler de lui toute ma vie, à lui serrer la main ! Cette main était énorme, je m’en souviens, car j’ai eu cette image de lui en train de casser des cailloux lorsqu’il était en prison pendant des années et des années… Tout ce que j’ai réussi à dire, c’est : « Nelson Mandela. Michael Jackson. » (rires) Michael est descendu du van portant un parapluie, et ses fans étaient là également car ils savaient qu’il allait venir. Quelques médias avaient aussi été invités. Nous sommes restés quelques heures, et il existe une vidéo de cette visite, ainsi qu’une photo de moi. C’était extraordinaire ! Michael et Nelson Mandela ont discuté un bon moment, puis ils sont sortis sur le perron de la maison et ont fait une brève conférence de presse.

Delà, nous avons repris un avion pour Marrakech, au Maroc. Il me semble qu’un promoteur avait invité Michael pour discuter de la possibilité d’y organiser un concert. Nous sommes restés quelques jours, constamment poursuivis et encerclés par la foule. Lorsque vous êtes en compagnie de Michael Jackson, vous devenez très populaire ! Il vaut mieux être prêt à déguerpir, et vite ! (rires) De nouveau, le manager de la tournée a levé les yeux au ciel car Michael voulait aller à Budapest ! Là-bas, il y avait également un promoteur qui gérait des courses de Formule 1 et qui voulait discuter avec Michael d’un éventuel concert. Nous avons encore passé quelques jours là-bas, un endroit magnifique. Finalement, nous sommes rentrés aux Etats-Unis, après une semaine fantastique ! De toute façon, comment aurait-il pu en être autrement ?

Par la suite, Michael a obtenu des financements pour monter une tournée qui devait démarrer en Europe de l’Est, et on m’a sollicité de nouveau. Puis, Michael a rencontré John Isaac avec lequel il a eu envie de travailler sur un projet de photos d’enfants du monde entier. Ce photographe avait déjà fait des livres et des choses de ce genre, donc je ne faisais pas partie du voyage.

Sony Pictures avait également un projet et on m’a contacté pour faire des photos de Michael : on devait installer l’appareil photo sur des rails pour prendre des clichés en rafales de façon à avoir tous les côtés et réaliser une image en 3D de Michael. C’était pour la vidéo « Ghosts ». J’ai emmené deux ou trois assistants avec moi à Amsterdam et nous avons installé un studio là-bas : c’était difficile car cela impliquait de nouvelles technologies mais j’ai été bien épaulé. En travaillant pour Michael, je recevais des offres de fabricants qui me fournissaient tout un tas de matériels photo et d’éclairages absolument fabuleux.

Il me semble que cette session a eu lieu lors d’une pause dans la tournée : à mon avis, Michael ne s’est pas rendu là-bas uniquement pour ce tournage, il était déjà à Amsterdam pour autre chose.

Je me souviens qu’avant de partir, j’avais participé à une course de karting et je m’étais cogné le genou. Une fois arrivé là-bas, je ne savais pas trop comment soigner ça et ma jambe était vraiment enflée, mais je continuais à travailler. Un docteur présent sur le tournage s’en est aperçu et m’a dit : « Il faut que tu ailles à l’hôpital ! » J’y suis donc allé et ça s’est arrangé. Michael était très généreux et il m’a offert des billets pour l’un de ses concerts. Il était toujours très gentil avec nous tous…

Une photo du tournage de « Blood On The Dance Floor » a été reproduite en peinture pour la pochette de l’album, mais est restée inédite à ce jour. Vous souvenez-vous de la photo originale et comment elle a été choisie comme pochette ?

Oui, Michael faisait ses propres sélections, et les répétitions et le tournage étaient chouettes ! Il vivait le truc à fond ! Il y avait une petite troupe de danseurs professionnels et nous avons travaillé dans un espace d’environ 200 mètres carré. C’était amusant pour moi aussi de travailler avec lui et d’être tout proche à travers les objectifs. Ce vidéo-clip est très joli : pour moi, c’est l’un de ses meilleurs. Et quelle énergie ! J’adore ce costume en cuir marron qu’il portait. Vincent Paterson, qui a réalisé la vidéo avec Michael, était un type vraiment super ! Je suis resté proche de lui et on parle de temps en temps. Je ne sais pas s’ils avaient travaillé ensemble avant mais il m’a semblé qu’il allait chercher l’énergie de Michael pour la faire surgir. Je voyais qu’ils collaboraient beaucoup, et aussi qu’il n’avait pas besoin d’effets spéciaux ou de coiffures excentriques : ce qui était primordial, c’était ce que Michael faisait en dansant. Il y avait quelque chose de pur sur ce projet.

En ce qui concerne les photos, certaines ont été prises dans un décor de studio mais beaucoup venaient de la vidéo elle-même. Une fois que je les avais transmises, je n’avais plus aucune influence sur la manière dont elles seraient utilisées pour la peinture.

Que représentent vos photos de Michael Jackson dans votre carrière, aussi bien professionnellement que sentimentalement ?

Tout d’abord, je tiens à dire que j’apprécie que vous preniez du temps pour réaliser cette interview car je n’avais plus parlé de tout ça depuis longtemps. Je me souviens que quand Michael a disparu, un groupe de presse local affilié à ABC avait fait une petite interview filmée avec moi.

Aujourd’hui, je suis propriétaire et gérant d’une nouvelle franchise de motos. Je fais ça depuis 1998 mais la photographie me manque, dans le sens où elle me donnait de la liberté. Quand j’étais photographe, je pouvais décider : « Bon, je vais prendre trois semaines et aller faire des courses de voiture quelque part ! » C’est une manière de vivre très différente. J’aime toujours prendre des photos mais je ne sais pas si je me risquerais à essayer d’en vivre de nouveau. Je possède beaucoup d’images que j’envoie régulièrement à un gars qui les met chez Getty, mais ils les achètent pour une bouchée de pain… Enfin, j’ai fait monter les prix l’année dernière grâce à un mauvais coup d’OJ, et j’ai vendu des photos de lui pour 3 000 dollars. Je prenais des clichés des gens et ce sont les gens qui font les actualités, donc ça se vendra toujours.

Evidemment, Michael est le point culminant de ma carrière, du point de vue commercial, mais je regrette de n’avoir pas eu de meilleurs contacts pour essayer de faire quelque chose de ces images. Il y a eu une coupure quand Michael a disparu, alors qu’il existe un tas de documents historiques incroyables à son sujet. Je sais que tout ça est quelque part, bien préservé, j’espère. J’ai développé des tas de pellicules et réalisé des vidéos, mais je ne sais pas ce qu’elles deviendront. J’ai eu cette impression qu’en matière de business, il y avait beaucoup de gens autour de Michael qui étaient là pour faire de l’argent sur son dos, et que ces gens étaient vraiment dans le contrôle de tout ça. J’étais fin prêt pour partir sur cette tournée : j’avais acheté pour 30 000 dollars de matériel, puisqu’on s’était mis d’accord sur le fait qu’on me rembourserait mes dépenses. Mais subitement, je ne faisais plus partie de la tournée et tout le monde s’est évaporé ! C’était vraiment une grosse machine commerciale et certaines personnes voulaient faire croire que c’était dans l’intérêt de Michael, alors que c’était dans leur propre intérêt.

Quand j’ai cessé de travailler pour Michael, j’avais perdu une bonne partie de mes clients réguliers car du fait de l’imprévisibilité de mon travail pour lui, j’avais dû refuser des propositions. Auparavant, j’avais beaucoup travaillé pour les magazines Forbes, The Daily ou Vanity Fair mais là aussi, ça s’était tari. Alors, j’ai réfléchi et j’ai pensé qu’après avoir gagné ce que j’avais gagné, je ne voulais pas vraiment revenir en arrière et gagner 200 dollars par journée de travail. J’avais une petite affaire avec un revendeur de motos Ducati à Los Angeles, sur mon temps libre. Du coup, je me suis reconverti là-dedans en 1998-99, au moment où la photographie était en train de devenir numérique, ce qui était intéressant, mais on sentait bien que plus rien ne serait comme avant…

BRICE NAJAR
FRANCE

Né à Annecy en 1979, il est l'auteur de quatre ouvrages liés à l'univers musical de Michael Jackson. "Itinéraire d’un passionné" et "The Jacksons : Musicographie 1976-1989" sont parus en 2013 et 2014. Chacun de ces deux livres, bien qu'indépendant, est donc le complément idéal de l'autre. Pour son projet suivant, Brice reste dans cette même thématique musicale mais dans un concept différent. "Let's Make HIStory", paru en 2016, est un recueil d'entretiens avec des protagonistes du double album "HIStory" de 1995. En 2020, l’auteur complète son sujet avec un nouvel ouvrage intitulé "Book On The Dance Floor". Une façon de décrypter le travail en studio du Roi de la Pop.

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