Richard Stites

 

L’album Invincible vient de fêter son vingtième anniversaire et je ne m’imaginais pas ne pas évoquer cet album sur le site en cette occasion. J’avais donc le souhait d’aborder ma chanson favorite du disque, à savoir « Don’t Walk Away ». J’ai donc contacté Richard Stites pour l’aborder dans un entretien. Ce dernier, dans un rôle de compositeur, producteur et seconde voix aux côtés de Michael Jackson était donc le témoin idéal. J’aime vraiment cette chanson et je remercie Richard d’avoir exaucé mon vœu de souhaiter un bon anniversaire à Invincible.

 

Tout d’abord, comment vous est venue cette passion de la musique au point d’en faire votre métier ?

J’ai commencé à chanter sur scène à l’âge de 12 ans à partir de bandes enregistrées. Même si j’étais très jeune, c’était très naturel pour moi d’être sur scène et c’est à partir de ce moment-là que j’ai adoré la scène, la musique et l’industrie du divertissement.

Tout ceci m’amena à posséder mon propre studio d’enregistrement, ma propre société de production et d’édition. Je jouais principalement du piano, mais aussi de la batterie et je programmais mes propres morceaux. Ma carrière a débuté lorsque j’ai signé comme artiste chez MJJ Music/Sony Music à 25 ans. Par la suite, j’ai signé chez Interscope Records par l’intermédiaire de Jimmy Lovine de 1997 à 2000.

Comment avez-vous été repéré puis engagé à MJJ Music ?

J’ai d’abord eu un contrat de chanteur chez MJJ Music/Sony Music en 1995. Je me suis rendu à Hayvenhurst, la maison des Jacksons à Encino, et là-bas, j’ai enregistré dans leur studio et j’ai rencontré Jackie Jackson. Il trouvait que j’avais du talent et nous avons enregistré de multiples chansons. Jon Divens et Jackie Jackson ont transmis ma musique à Michael Jackson et il m’a fait signer un contrat chez son label. C’était un artiste extraordinaire, et un grand honneur pour moi de savoir qu’il m’avait choisi en tant qu’artiste pour son label : j’avais toujours eu beaucoup de respect pour lui.

Bien plus tard, j’ai produit, écrit et chanté une chanson intitulée « Don’t Walk Away » parue sur l’album Invincible de Michael Jackson. La chanson a été enregistrée initialement avec ma propre voix pour mon album chez Interscope. Je l’ai ensuite donnée à MJ. Je possède toujours l’enregistrement original.

Est-ce qu’il y a une part autobiographique dans cette composition ?

Elle est complètement autobiographique. J’ai écrit les paroles au sujet d’une fille que j’aimais et qui m’avait brisé le cœur en me quittant. Je me souviens que je ne voulais pas qu’elle s’en aille mais je ne trouvais pas les mots pour le lui dire. Finalement, elle a changé de nom, a déménagé et nous ne nous sommes jamais reparlé. Elle s’appelait Grace Lee et était originaire de l’Alaska.

J’ai été très impliqué dans la production de cette chanson « Don’t Walk Away » étant donné que c’est moi qui ai chanté la version originale et qu’elle était censée figurer sur mon album chez Interscope.

Comment avez-vous été intronisé dans le projet Invincible ?

Lorsque j’ai quitté Interscope en 2000, j’ai tout perdu. Un bon ami a payé un garde-meuble pendant un an pour que je puisse y stocker mon matériel de studio. Je n’avais plus d’argent, je dormais à droite à gauche et je déambulais en essayant de survivre à Hollywood, quand j’ai appelé mon ancien manager Trudy Green et son assistante m’a annoncé que Teddy Riley essayait de me joindre ! Elle m’a donné son numéro car il avait demandé à ce que je l’appelle au plus vite. J’ai acheté une carte téléphonique avec ce qu’il me restait d’argent et je l’ai appelé. Il m’a dit : « Ecoute, est-ce que tu peux récupérer les bandes master et prendre un avion ? Je veux enregistrer les parties vocales de Michael avec toi sur ta chanson. Je te paierai le voyage. Je peux aussi t’aider à aller chercher les bandes master dans ton garde-meuble. » C’est ainsi que j’ai intégré des sessions sur l’album Invincible.

Teddy Riley a écouté mon morceau et a dit que Michael allait l’adorer. Lorsqu’il le lui a fait écouter, il nous a fait venir à New York pour enregistrer ses parties vocales. Nous sommes d’abord allés aux studios Sony durant quelques jours, mais comme il avait un conflit avec Tommy Mottola, nous sommes ensuite allés à la Hit Factory.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du titre « Don’t Walk Away » ?

Oui, j’ai été impliqué dans l’intégralité de la conception, de la création et de la production de la chanson « Don’t Walk Away ». J’ai aussi enregistré l’intégralité des parties vocales initiales puisqu’elle devait être sur mon album chez Interscope, comme je l’ai dit. Michael et moi nous sommes tout de suite bien entendus. Je me souviens que j’étais dans le fond du studio avec tout mon équipement. Je jouais une nouvelle chanson sur laquelle je travaillais et que nous avons fini par faire également. Des lunettes de soleil sur le nez, je secouais la tête en rythme avec le morceau et Michael s’est mis à faire comme moi : il s’est mis à hocher la tête et a sorti des lunettes de soleil de sa poche et les a mises aussi. Je n’oublierai jamais ce moment : c’était hilarant !

Teddy Riley est crédité en tant que compositeur et producteur : avez-vous des souvenirs liés à ses travaux pour cette chanson ?

En réalité, Teddy n’a pas été impliqué dans la production du morceau de quelque manière que ce soit. J’ai fait venir un orchestre de 27 instruments. Je me suis présenté avec les bandes master finalisées. Il a planifié l’enregistrement des parties vocales de Michael mais il s’est crédité à la production et en tant que producteur : c’est comme ça que ça passe sur les gros albums. Oui, j’ai produit la chanson mais sur le livret d’album, je suis cité en tant que coproducteur tandis que Teddy Riley et Michael Jackson le sont en tant que producteurs, alors que j’avais accepté de leur donner que 10% du crédit de production. Les chœurs avaient déjà été enregistrés avant les parties vocales de Michael. C’est moi qui leur ai fourni les bandes master. Les seules choses que nous avons ajoutées ont été les parties vocales de Michael avec quelques effets sonores, et un arrangement de Teddy à la guitare électrique pour l’intro. En ce qui concerne ma partie vocale qu’on peut entendre à la fin de la chanson, Michael souhaitait la garder. En fait, il voulait en garder davantage mais n’a finalement conservé que cette partie vocale finale issue de ma démo. Le regretté ingénieur du son Bruce Swedien a mixé la chanson ce soir-là et c’est ce qu’on entend sur le disque.


(…Durant nos échanges sur Messenger dont cet entretien est le fruit, Richard me fait écouter sa démo de « Don’t Walk Away ». Je n’avais pas osé le lui demander mais mon interlocuteur le fait spontanément. Il semble réellement apprécier mon intérêt pour la genèse de cette chanson et documente ainsi nos échanges. D’autant que tout cela confirme ses dires : l’essentiel était déjà là lorsqu’il a posé sa voix. L’ensemble est un peu plus intimiste dans une ambiance davantage acoustique, et la version finalisée ne contient que quelques arrangements. Michael aurait pu prendre cette direction artistique qu’il avait déjà tentée avec « Much Too Soon » sans pour autant l’inclure dans sa track list finale. Toutefois, il respecte totalement la vision de Richard dans son interprétation. La douleur et la peine se font déjà sentir pleinement dans cette démo et je me sens privilégié d’écouter ce qui a donné envie au Roi de la Pop d’enregistrer la chanson. Le final me semble familier, et pour cause : c’est bien la prise vocale de Richard qui est utilisée et que nous pouvons tous entendre sur l’album Invincible. La sensation agréable d’écouter un document d’archive se fait sentir : c’est dans ce domaine que je tente d’apporter ma modeste contribution dans l’univers de Michael Jackson afin d’essayer de me rendre utile…)

Michael Jackson n’a jamais évoqué publiquement cette chanson. Vous souvenez-vous de ses remarques et opinions sur « Don’t Walk Away » ?

Bien sûr ! Michael adorait la chanson « Don’t Walk Away » et il m’a remercié encore et encore. Il m’a dit que c’était l’un de ses morceaux favoris sur l’album Invincible et l’une des premières chansons qu’il avait enregistrées pour celui-ci.

Avez-vous participé à d’autres travaux qui n’ont pas été retenus sur l’album ?

J’ai également enregistré une chanson appelée « Just a Lover in My Life » qu’il avait aussi prévu d’enregistrer mais finalement, il n’a jamais finalisé les parties vocales. Nous ne l’avons donc jamais mixée, ni terminée, mises à part les parties vocales que Michael a conservées. Si rien ne sortait officiellement dans les 5 ans, tous les droits me revenaient. J’en suis donc le propriétaire.

(…Cette réponse au sujet de « Just A Lover In My Life » avait forcément éveillé ma curiosité. Bien heureusement, dans le même esprit que l’écoute de la démo de « Don’t Walk Away », Richard me proposa de l’écouter, telle une bonne surprise. Un titre midtempo au potentiel intéressant, il n’en fallait pas moins pour éveiller l’intérêt de Michael. Dès la première écoute, on sent toute l’influence jacksonienne jusque dans la prestation vocale de Richard. Dans cette atmosphère sombre et tourmentée, j’y vois quelques similitudes avec « She Was Loving Me » de Cory Rooney, autre chanson non retenue pour Invincible. Cette ambiance colle parfaitement pour le Roi de la Pop et on l’imagine totalement s’imprégner de cette démo tellement elle a été faite pour lui. J’imagine entendre sa version et je me laisse porter par ces percussions qui sonnent comme des coups de boutoir d’une nouvelle désillusion amoureuse, mais bien plus amère que « Don’t Walk Away », dans une thématique proche de celle de « Who Is It ». Tout cela me donne envie d’être positif et de me dire que les coffres n’ont pas encore été pillés. Il me reste encore des trésors Jackson à découvrir, et cette offrande de Richard Stites est là pour me le rappeler. Bien évidemment, je lui ai demandé la permission d’évoquer ces écoutes. Il a bien gentiment accepté, précisant qu’il a gardé tout cela trop longtemps pour lui. Il ajoute même que depuis les sessions Invincible, je suis la première personne à écouter cette démo et il apprécie mon intérêt. C’est ainsi que je garde espoir que, parmi les collaborateurs du Roi de la Pop, ils soient nombreux à être heureux de partager cette belle expérience qu’ils ont vécu avec lui…)

L’album a vu sa promotion avortée suite à un conflit de MJ avec sa maison de disques. Pensez-vous que cette chanson aurait pu faire un bon single avec une vidéo ?

Tout à fait. Tommy Mottola voulait le catalogue des Beatles que possédait Michael et il voulait que celui-ci le vende à Sony Music. Quand MJ a refusé, Tommy Mottola s’est employé à gâcher le succès de l’album aux Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle il ne s’y est vendu qu’à 2 millions d’exemplaires, et à 12 millions dans le reste du monde. C’est aussi pour cela que MJ appelait Tommy Mottola, le diable. Si la promo s’était faite comme il faut aux Etats-Unis notamment, l’album aurait eu du succès mais Tommy Mottola a fait en sorte que ce ne soit pas le cas.

Quel a été votre parcours musical depuis cette époque ?

Après avoir travaillé sur le disque de Michael, j’ai travaillé sur les albums de George Clinton, Sleepy Brown, Tim Armstrong, The Transplants, Natalie Cole et Hollywood Undead.

Michael Jackson a indubitablement constitué un fait majeur mais également très bref de mon parcours dans le monde de la musique. Un peu comme Forrest Gump, je me suis très souvent retrouvé au beau milieu de grandes choses au bon moment. Travailler avec Michael fut un moment déterminant et demeure un magnifique souvenir qui m’a changé à jamais.

Contact : RichStites@ICloud.com

BRICE NAJAR
FRANCE

Né à Annecy en 1979, il est l'auteur de quatre ouvrages liés à l'univers musical de Michael Jackson. "Itinéraire d’un passionné" et "The Jacksons : Musicographie 1976-1989" sont parus en 2013 et 2014. Chacun de ces deux livres, bien qu'indépendant, est donc le complément idéal de l'autre. Pour son projet suivant, Brice reste dans cette même thématique musicale mais dans un concept différent. "Let's Make HIStory", paru en 2016, est un recueil d'entretiens avec des protagonistes du double album "HIStory" de 1995. En 2020, l’auteur complète son sujet avec un nouvel ouvrage intitulé "Book On The Dance Floor". Une façon de décrypter le travail en studio du Roi de la Pop.

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