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Steven Paul Whitsitt

 

Lors de la finalisation de mon livre « Let’s Make HIStory », j’avais le souhait de trouver une photo de qualité datant de cette période pouvant me servir de couverture afin de crédibiliser comme il se doit mon projet. Mes recherches à ce sujet furent nombreuses et c’est ainsi que les travaux de Steven Paul Whitsitt retinrent mon attention. Ainsi, après avoir choisi ce cliché de Michael Jackson tenant une guitare lors du tournage de Scream, j’ai souhaité aller à la rencontre de ce photographe afin qu’il évoque cette collaboration. C’est aujourd’hui chose faite et je l’en remercie.

Tout d’abord, comment est venue cette passion de la photographie au point d’en faire votre métier ?

Lorsque j’étais enfant, mon père était photographe amateur et chaque fois que nous partions en vacances en famille, il nous disait : « Allez ! Mettez-vous tous là et souriez ! Vous devez sourire, vous devez être heureux ! » (rires) Donc, je ne pensais pas grand-chose de la photographie à l’époque mais à l’adolescence, il s’est mis à prendre des cours et une fois ou deux, il m’a emmené dans la chambre noire. Je n’oublierai jamais la toute première fois où j’ai vu une photo noir & blanc dans le bain révélateur. C’était vraiment magique et je me suis dit que c’était la chose la plus incroyable que j’avais jamais vue. Par la suite, j’ai passé 5 ans dans l’armée et il fallait bien que je fasse autre chose que… boire ! J’ai donc commencé à utiliser un appareil photo et je me suis rendu compte que ça me plaisait beaucoup, et quand j’ai quitté l’armée, pour me récompenser d’y avoir survécu, je me suis offert un voyage en Afrique de l’Est. Je suis allé au Kenya, en Ouganda… et pendant que j’étais là-bas, j’ai réfléchi en ces termes : « Alors, qu’est-ce que je vais faire du reste de ma vie ? J’adore voyager et les photographes voyagent. » J’ai donc décidé que je serai photographe. J’ai alors repris mes études, obtenant mon diplôme en 3 ans, puis je suis parti à Los Angeles et j’ai démarré ma carrière.

Quelle image aviez-vous de Michael Jackson et de sa musique avant de collaborer avec lui ?

J’ai grandi dans le Michigan, dans une petite ville au nord de Détroit, et dans les années 60 et 70, la musique de la Motown rythmait notre quotidien avec Diana Ross & les Supremes, Smokey Robinson… Quand les Jackson 5 sont arrivés, ils étaient donc partout ! Je me souviens en particulier du dessin animé à leur effigie : c’était tellement amusant et mignon ! Mais jamais je n’aurais même osé rêver de le rencontrer.

Comment avez-vous été contacté pour travailler avec Michael Jackson et avez-vous un souvenir précis de votre première rencontre ?

J’ai obtenu mon diplôme en 1990 et c’est donc à ce moment-là que ma carrière a débuté. J’ai commencé à rechercher du travail à Los Angeles avec des photographes qui évoluaient dans des domaines qui m’intéressaient : la musique, le monde du spectacle… A cette époque, la trajectoire classique de la carrière d’un photographe était de démarrer en assistant d’autres photographes : charger les films dans les appareils, installer les lumières et ce genre de choses. Au sein de toute profession, il y a toujours une communauté qui se développe et j’avais rencontré un assistant photographe qui m’a appelé un jour et m’a dit : « J’ai une séance photo à laquelle je ne peux pas me rendre. Est-ce que tu peux me remplacer ? » J’ai dit : « D’accord. Qu’est-ce que c’est ? » Il a répondu : « C’est un truc super ! Avec le photographe de Michael Jackson. » J’ai fait : « Oh, d’accord !… Sympa ! » Je me suis donc présenté à la séance et c’était le tournage du clip de Black Or White ! Ce jour-là, il y a eu plusieurs choses : la première, c’est que Paul et Linda McCartney sont venus et j’ai trouvé ça plutôt extraordinaire ! Il me semble que c’était la séquence avec les danseuses africaines et le jour suivant, celle avec les danseuses thaïlandaises. Je travaillais donc pour le photographe de Michael et il m’appréciait suffisamment pour me garder durant les 3 années suivantes : j’ai été son assistant sur le clip de Black Or White, sur différents tournages à Neverland, mais aussi l’interview avec Oprah, la prestation au Superbowl et des choses de ce genre. Finalement, il m’a emmené avec lui pour la première partie du Dangerous Tour. Je suis allé en Amérique du Sud : au Brésil, en Argentine, au Chili et enfin à Mexico.

Durant cette expérience, j’ai eu une fois un échange avec Michael. Nous étions à Neverland et le photographe pour lequel je travaillais avait oublié sa veste, ce qui veut dire que j’avais oublié sa veste, en fait. Nous sommes donc retournés à la salle de spectacle de Neverland et je suis entré pour la chercher… et Michael était là ! C’était la première fois que je me retrouvais seul avec lui dans une pièce. J’ai dit : « Excuse-moi, Michael, je suis désolé. J’ai oublié une veste et je suis revenu la chercher. » Il a répondu : « Pas de souci, Steve ! » Il se souvenait de mon nom, il savait comment je m’appelais. J’ai enchaîné : « Tu sais, Michael, c’est vraiment un honneur d’avoir l’opportunité de travailler avec toi ! » Il a renchéri : « Steve, c’est un honneur de travailler avec toi également. » C’était vraiment un moment à part pour moi !

A ce moment-là, je travaillais depuis quelque temps pour son organisation et je connaissais beaucoup de gens. Après le Dangerous Tour au cours duquel j’avais rencontré une femme au Brésil, elle m’a envoyé un cadeau dans les bureaux de Michael et on m’a appelé pour me demander de venir le chercher. J’y suis allé et on m’a dit : « On se sépare de l’autre photographe. » Puisque j’étais son assistant, je me suis logiquement dit que je ne reverrai plus jamais ces gens… J’ai donc fait le tour des bureaux pour dire « Au revoir, ce fut très agréable de travailler avec vous… » Et dans l’un de ces bureaux se trouvait Bob Jones, le vice-président de l’organisation de Michael, en charge de la communication. Il m’a dit : « Steve, entre et assieds-toi ! » Nous avons discuté et il a été très sympa. Je suis rentré chez moi et environ une semaine plus tard, mon téléphone a sonné : c’était la secrétaire de Bob Jones qui m’a dit : « Restez en ligne, je vous passe Bob. » Il a pris le combiné et il m’a demandé : « Steve, ça t’intéresserait de passer un entretien pour le poste de photographe ? » Dans le monde de la photographie professionnelle, ce genre de choses n’arrive jamais. Je dis toujours que c’est comme si vous subissiez une opération chirurgicale et que le chirurgien devait partir, alors il passerait la main à l’infirmière en disant: « Bon, à vous de terminer ça. » J’ai donc passé un entretien avec lui et il m’a annoncé : « On va t’envoyer à New York où tu vas pouvoir faire une séance photo avec Michael. S’il t’apprécie, que l’alchimie entre vous est bonne, le poste est à toi ! Si ce n’est pas le cas, bah… » C’est exactement le genre de choses que j’aime car je veux réussir grâce à mes propres mérites. Je ne veux pas parvenir à quelque chose parce que quelqu’un connait quelqu’un qui… bref, vous voyez. Je veux pouvoir dire : « Voilà qui je suis et le travail que je fais. Si vous aimez, super ! Sinon, pas de problème ! »

Je n’étais encore jamais allé à New York de ma vie et il fallait que je produise la séance photo ce qui voulait dire rassembler tous les éléments nécessaires pour qu’elle ait bien lieu. Il me fallait donc un studio, des appareils photo et leurs accessoires, des projecteurs et des décors, mais aussi un service traiteur, un logement et un labo pour développer les pellicules… Heureusement, un des photographes pour lesquels j’avais été l’assistant, Neil Preston, m’a aiguillé et fait la liste de tout ce que je devais faire. C’est un photographe extraordinaire qui m’a beaucoup appris et à qui je dois beaucoup. Le jour est donc arrivé : j’étais à New York et j’étais prêt pour la séance. Evidemment, j’étais un peu nerveux et je me suis dit : « Pour quelle raison ai-je choisi cette carrière ? » Et la réponse était : « Je suis devenu photographe parce que c’est amusant ! Je veux être certain de m’amuser en faisant mon métier ! » C’était ça, ma motivation.

Michael est donc arrivé et je lui ai dit : « Merci infiniment pour cette opportunité. » Nous avons démarré la séance, puis nous avons fait une pause et j’ai remarqué que Michael était seul dans un coin. Je suis donc allé lui parler. J’ai dit : Encore une fois, merci beaucoup, Michael. J’espère que tu passes un bon moment. Tu sais, quand j’étais en 6ème, toute l’année j’étais assis à côté d’une fille qui s’appelait Katerina Thompson et on se disputait pour savoir lesquels étaient les plus cools : les Jackson 5 ou les Osmonds. Et je peux te dire que même à cette époque-là, j’étais de ton côté, Michael ! » Il a rigolé : il trouvait ça vraiment drôle ! D’une certaine manière, ça a brisé la glace et créé un sentiment chaleureux entre nous. Sur cette toute première séance, je me souviens que Michael portait une veste militaire avec des galons dorés sur les épaules, et aussi qu’à la fin, Bob Jones est venu vers moi et m’ait : « Je ne sais pas ce que tu lui as raconté mais il t’aime bien ! Si les photos sont bonnes, le job est à toi ! » Alors, j’ai développé les photos et j’ai eu le job !

Le fait de débuter votre collaboration en 1994, alors qu’il travaillait sur un nouvel album, vous a-t-il permis de découvrir un artiste en plein travail ?

Je ne l’ai pas vu en studio ou quoi que ce soit de ce genre mais il a réalisé beaucoup d’enregistrements au studio Record Plant à New York. En général, je prenais l’avion le jeudi ou le vendredi, on faisait une séance le samedi ou le dimanche, et je repartais le lundi. Parfois, il était en studio et j’y allais pour discuter un peu avec lui, et j’ai en effet assisté à l’enregistrement de quelque chose qui n’est jamais sorti par la suite. Il chantait avec une chorale d’enfants et si je l’entendais, je reconnaîtrais la chanson. Mais je ne l’ai jamais entendue et je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Elle doit être dans des archives quelque part… Je me souviens qu’un jour j’étais avec lui au studio où il avait un genre de petit bureau privé qu’on utilisait pour s’assoir un moment et parler, mais cette fois-là nous étions dans un espace commun et on a entendu que l’équipe passait la chanson sur laquelle il travaillait à ce moment-là. Dès que la musique a démarré, son attention s’est détournée de moi ! On discutait et on se regardait mais dès qu’il a entendu la musique, il n’y était plus. J’ai trouvé que c’était intéressant parce que tous les jours nous voyons des milliers de choses passer devant nos yeux, notamment sur internet, et moi, je lis des choses mais je regarde aussi les images, les choses visuelles. Je les regarde pour leur qualité, pour y voir quelque chose que je n’ai jamais vu… C’est le genre de choses qui détourne mon attention. Ce qui détournait celle de Michael, c’était la musique et si vous étiez en train d’essayer de lui parler, c’était fichu ! Je travaille toujours avec de nombreux musiciens parmi lequel le saxophoniste de Jazz, Marcus Anderson, et il a un comportement très similaire. On parle de plein de choses différentes mais quand il y a de la musique, c’est ça qui capte son attention.

Vous étiez présent avec Michael à Budapest en août 1994 lors du tournage du teaser HIStory. Pouvez-vous nous expliquer votre rôle, aussi bien pendant le tournage du clip que lors des déplacements de la star ?

Quand on m’a annoncé que j’avais obtenu le poste, on ne m’a pas vraiment dit quand et comment j’allais commencer. Ma vie a donc continué comme avant que je ne passe cette séance test avec eux. Et puis, un jour, mon téléphone a sonné et c’était le chef de la sécurité de Michael qui m’a dit : « Steve, Michael souhaite te parler cet après-midi. Assure-toi d’être chez toi. » Je me suis dit : « Michael veut me parler : je crois que je vais rester à la maison. » (rires) C’est ce que j’ai donc fait et aux alentours de 2 heures de l’après-midi, le téléphone a de nouveau sonné et on m’a dit : « Reste en ligne, on te passe Michael. » Il a pris le combiné et m’a annoncé : « Steve, il faut que tu prennes l’avion de nuit pour New York où nous avons prévu une séance photos avec Lisa Marie et moi. Ensuite, on partira à Budapest pour un tournage. » Il ne m’a pas vraiment dit de quoi il s’agissait ni donné de détails, et c’est globalement de cette façon que les choses fonctionnaient avec Michael et qu’elles ont souvent fonctionné au cours de ma carrière. Quand on est une personne créative, il faut être capable de se présenter sur une mission et, peu importe ce qui se passe, peu importe la situation, avoir assez de confiance en soi pour faire que les choses arrivent. Je n’avais aucune idée de ce dans quoi je mettais les pieds en me rendant à Budapest, mis à part le fait que j’avais un boulot à faire.

J’ai donc pris l’avion pour New York et nous avons fait la séance photo avec Michael et Lisa Marie : c’était une sorte d’annonce de mariage même s’ils étaient déjà mariés. Il y avait un autre photographe sur place, celui de Lisa Marie. Quand il m’a vu, il a lancé : « Qu’est-ce que tu fais là ? C’est pas prévu qu’il y ait un autre photographe ! » Je me suis dit : « Bon, Michael m’a demandé d’être là, donc je suis légitime. » Le gars n’était pas content parce que j’avais un assistant et pas lui. Alors, j’ai dit : « Ecoute ! On va travailler à des moments distincts donc tu peux prendre mon assistant ! Cela m’est égal. Utilise tout ce que j’ai amené avec moi : je m’en fiche. Je ne suis pas une menace pour toi et tu ne dois pas te sentir menacé par ma présence. » A la fin de la journée, il est venu me serrer la main chaleureusement en disant : « Ouah ! Merci beaucoup pour ton aide ! J’apprécie. » C’est quelque chose que j’essaie de garder à l’esprit. Très souvent, il y a d’autres photographes sur le plateau et je me dis que je ne dois pas me sentir en compétition ou menacé par qui que ce soit. Les choses fonctionnent mieux s’ils ne me voient pas comme une menace et j’essaie d’agir dans ce sens.

Le lendemain, nous sommes partis pour Budapest mais mes souvenirs sont plutôt flous car tout s’est passé très vite !… A ce moment-là, c’était la première fois que je me retrouvais dans cette situation en tant que photographe de Michael et j’en étais encore à essayer de comprendre quel était mon rôle et quel degré d’interaction il souhaitait avoir avec moi. Le directeur de la photographie est venu me trouver et m’a demandé : « Je voudrais savoir comment tu éclaires Michael. » J’ai pensé : « Bah, ça alors ! Mais c’est toi le directeur de la photographie ! » En général, ces gars-là sont des génies de l’éclairage et de tout le reste mais il m’a écouté et j’étais très honoré par le fait qu’il me pose la question. En fait, c’est arrivé plusieurs fois que sur des tournages, le directeur de la photographie me demande : « Comment tu t’y prends pour l’éclairage ? » et des choses de ce genre. C’était toujours un grand honneur pour moi. Je me souviens que nous sommes allés dans une fonderie située tout près de Budapest pour filmer des gens en train de couler de l’acier. Michael n’était pas avec nous ce jour-là mais c’était chouette ! Je m’efforce toujours de ne pas regarder seulement ce qui se passe devant mes yeux mais de parcourir ce qui m’entoure et d’en capturer l’essence. Cette fois-là, je me suis promené aux alentours et j’ai fait des portraits en noir et blanc des ouvriers qui travaillaient dans l’aciérie. Aujourd’hui encore, ces portraits font partie de mes préférés parmi tous ceux que j’ai réalisés. Cela n’avait rien à voir avec Michael mais j’essaie simplement de continuer à travailler de façon personnelle, d’avoir ma propre vision des choses tout en faisant le boulot pour lequel j’ai été engagé. Je ne cesse jamais de chanter, d’observer les choses autour de moi…

Quand nous étions à Budapest, il y avait toujours beaucoup de fans qui suivaient Michael et ça me fascinait. Ils savaient qu’il sortirait de l’hôtel alors ils attendaient dehors, par exemple. Certaines personnes de l’équipe me taquinaient un peu parce que je m’arrêtais pour parler avec ces mômes, mais je trouvais ça intéressant que des gens puissent dépenser tout leur argent pour suivre quelqu’un à travers le monde. D’un point de vue philosophique, je n’aime pas me placer au-dessus de quiconque et, alors que beaucoup de membres de l’équipe avaient tendance à regarder les fans de haut, moi, j’échangeais avec eux sur ce qu’ils attendaient de la vie, sur les rêves qu’ils avaient. Je suis devenu amis avec quelques-uns et cette amitié perdure encore aujourd’hui. Je me souviens les avoir vus à Budapest et que ça avait complètement changé ma vision des choses. L’un d’entre eux vit à Madrid et nous sommes en contact tous les mois quasiment. On se connait depuis 1993, donc ça fait un bon moment maintenant !

Vous avez réalisé de nombreux clichés lors des tournages de Scream, Childhood et You Are Not Alone. Pouvez-vous nous parler de votre méthode de travail durant ces événements alors que de nombreuses personnes devaient être présentes aux côtés de Michael ?

Ce n’était pas particulièrement difficile mais dans mon rôle de photographe, je ne veux pas être le centre d’attention : je veux que la photographie soit le centre d’attention. J’aime créer l’attention mais je n’ai pas besoin d’en être l’objet : je me sens beaucoup plus à l’aise dans un rôle plus petit. C’est un aspect de ma personnalité qui s’est développé dans ma manière de me mouvoir dans le monde et qui fait que je me fonds dans l’espace. J’approche les choses avec la certitude que je suis légitime pour être là où je suis et il y a quelque chose dans mon énergie qui fait que les gens acceptent ma présence. Je me déplace donc dans des tas d’endroits et très souvent, ce n’est pas que les gens ne me voient pas mais ils m’intègrent comme faisant partie du décor. Je pense que cet aspect s’est principalement développé en travaillant sur des vidéos-clips car j’avais pu le constater en tant qu’assistant. Faire attention à ses mouvements, respecter les gens et évidemment, ne jamais se retrouver dans le champ de la caméra. Et si vous ne savez pas quelque chose, demandez à quelqu’un !

En ce qui concerne mon interaction avec Michael, je sentais qu’il n’avait pas besoin qu’elle soit très importante sur le tournage. Quand il y avait un « temps mort », j’allais le voir en demandant; « Michael, tu as un moment ? » et je lui parlais. Sur le tournage de Scream, qui a duré environ 15 jours il me semble, mon assistant développait la pellicule chaque jour et me ramenait les tirages le lendemain. Sur la vidéo que j’ai faite pour l’exposition à la Kingvention 2016, on peut voir deux de ces photos en arrière-plan : ce sont deux photos encadrées, l’une de Janet et l’autre de Michael. L’histoire de ces photos, c’est que je les ai montrées à Michael dès le lendemain du mur où je les ai prises. Il avait un stylo rouge et quand il a vu la photo de Janet, il l’a entourée d’un grand cercle. Ensuite, il a vu sa propre photo et il a fait de même. Puis, il m’a demandé : « Quel est le plus grand format dans lequel tu pourrais me fournir ces photos ? » J’ai répondu : « Probablement, en 20×30 pour que l’image ne perde pas en qualité. » Il a dit : « Ok. J’aimerais que tu fasses un essai d’impression. » C’est ce que j’ai donc fait dans mon labo pour chacune des deux photos et quand je lui les ai montré, il s’est exclamé : « C’est fantastique ! Alors, je voudrais une photo de Janet pour moi et une autre pour Janet. Je voudrais aussi une photo de moi pour Elizabeth Taylor et une autre pour moi. » J’ai fait ce qu’il demandait et j’en ai profité pour faire des tirages de la même taille pour moi également ! Il n’existe donc que quelques exemplaires de ces tirages : ceux que je possède, ceux que Michael avait, celui que Janet a également et celui que l’Estate d’Elizabeth Taylor a en sa possession, j’imagine… En ce qui me concerne, ils étaient dans mes archives et ce n’est que récemment que je les ai fait encadrer. Si quelqu’un me proposait une somme correcte, je les vendrais probablement mais ils sont évidemment très rares et ont beaucoup de valeur.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que très souvent, je n’avais que 5 minutes pour parler à Michael et lui montrer les photos, mais je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin que mon travail soit validé constamment par des échanges avec lui. Il avait beaucoup de choses à penser et à gérer et moi, j’étais là pour faire le boulot demandé et il s’agissait d’agir en professionnel.

Lors du tournage de Scream, Michael pose pour vous en faisant un doigt d’honneur. Pouvez-vous nous raconter comment ce moment insolite est arrivé ?

C’était très spontané ! Quand il a fait ce geste, ils étaient en train de filmer les plans très très serrés sur son visage. A un moment donné, ils secouaient la caméra et il s’est mis à faire des grimaces et d’autres trucs devant l’objectif. Il a fait un doigt d’honneur et j’ai tout simplement capturé cet instant ! Et je suis content de l’avoir fait car je pense que c’est une photo importante de Michael. Par contre, je ne sais pas quand elle a été publiée… Mais je reviendrai sur ce point plus tard.

J’aime beaucoup également le moment où Michael se saisit d’une guitare. Est-ce que vous le dirigiez totalement dans ses gestes ou bien lui laissiez-vous une part de liberté ?

Quasiment toutes les photos prises sur les tournages des clips sont le résultat de mes efforts pour me trouver au bon endroit au bon moment, m’imprégner de ce qu’il faisait et capturer ces moments. Les seules occasions où je lui ai vraiment donné des instructions, c’était lors des séances photos. Cette fois-là, quand je suis arrivé sur le plateau, tout était en place avec les guitares alignées et on m’a dit qu’il allait casser une guitare. Evidemment, je trouvais ça très excitant ! Vous savez, Michael n’était pas guitariste et quand je l’ai vu s’emparer d’une guitare et jouer, j’ai pris les photos en pensant : « Ouah ! C’est vraiment bon, ça ! » Je cherchais juste les bons angles de vue et les bons moments. Il y en a une sur laquelle il a un grand sourire et où il a l’air véritablement heureux : celle-là est super ! Ensuite, quand il a cassé la guitare, je me trouvais environ à 2 mètres de lui et j’ai donc fait une série de photos où il lève la guitare au-dessus de sa tête et la frappe sur le sol. il y a aussi une série où la guitare est posée devant lui. Un de ces jours, j’envisage de créer un montage de ces photos et de les publier. Quand la guitare en question s’est brisée, un morceau a atterri à mes pieds et je le conserve dans une boîte depuis. Ce que je ferai, c’est fabriquer un petit écrin avec ce morceau de guitare et je le présenterai aux fans un jour.

Vous avez réalisé une séance avec Michael déguisé en Charlie Chaplin pour le single Smile. Pouvez-vous partager vos souvenirs liés à ce moment ?

Oh, c’était une expérience si extraordinaire ! Je me trouvais à New York et Michael m’a appelé à mon hôtel en disant : « Steve, Il faut que je te parle. Tu as un moment ? » Je me suis rendu à pieds à la Trump Tower où il résidait et quand je suis arrivé, nous avons parlé de différentes choses avant qu’il me demande : « Tu connais la chanson Smile ? » J’ai répondu : « Oui, il me semble. » Il a dit : « Je vais te la chanter ! » Voici donc que je me retrouvais en tête-à-tête avec Michael qui me chantait Smile a cappella : ce fut l’un des moments les plus extraordinaires que j’ai eu la chance d’avoir avec lui ! Pendant qu’il chantait, je ne savais pas si je devais le regarder ou… vous voyez, quoi ! Sa voix était d’une telle pureté et tout ça sans aucun échauffement. Quand il a eu terminé, il a fait : « Cette chanson. » (rires) J’ai dit : « Oui, Michael, bien sûr que je la connais. Merci ! C’était incroyable ! » Il a poursuivi : « Tu savais que la musique de cette chanson avait été écrite par Charlie Chaplin ? » et j’ai répondu que je l’ignorais. Il s’est alors mis à tout m’expliquer au sujet de cette chanson et du film de Chaplin The Kid et c’était vraiment intéressant. Il m’a parlé de l’enfant qui jouait le rôle, Jackie Coogan. Il a dit : « Tu sais, je dois une fière chandelle à Jackie Coogan. C’est grâce à lui que les lois dans notre pays ont évolué de façon à ce que les enfants-stars soient traités comme des êtres humains. »

Ensuite, il a ouvert un livre et il m’a montré une photo du film en disant : Je veux que tu montes un casting pour trouver un enfant et que tu engages une entreprise pour construire un décor comme celui-là. » C’est probablement ce que j’ai entendu de plus clair en termes d’instructions de la part de Michael. Il m’a donc fallu quelque chose comme 3 mois pour réunir tous les éléments car je devais également produire ce projet. Quand tout a été prêt, nous avons convenu d’une date pour la séance qui aurait lieu à New York, mais je ne voulais pas seulement faire la séance photo qu’il demandait : j’avais envie de faire 2-3 autres choses. J’ai toujours été un grand fan d’Andy Warhol et j’ai dit à Michael : « On pourrait faire une série de gros plans de toi habillé en Chaplin mais à la manière d’Andy Warhol. Tu lèverais les yeux au ciel et tu bougerais les sourcils et la moustache. » Nous avons donc fait ces clichés également, mais aussi la pochette du disque dont une version alternative où il tient l’enfant dans ses bras… C’était vraiment magique et une expérience géniale ! Suivre un projet de bout en bout de cette manière, c’était fabuleux !… J’ai donc remis mon travail à Michael et les mois ont passé. Personne ne m’appelait pour me dire : « C’est prévu pour tel ou tel moment… » Rien. Ce qui s’est passé, c’est qu’ils l’ont sorti dans un pays en Europe et l’Estate de Charlie Chaplin s’est manifesté auprès de Michael en disant t: « On préfèrerait que ça ne sorte pas… » Michael avait un tel respect pour Chaplin qu’il a retiré le projet. C’est pour ça que ce single est probablement l’un des plus rares de Michael. D’ailleurs, je n’en possède même pas un exemplaire moi-même : j’aimerais bien mais je n’ai pas les moyens de dépenser des milliers de dollars pour l’acheter. Mais je ressens une petite fierté en pensant que j’ai fait quelque chose d’aussi rare, et en même temps, ça me rend un peu triste… Quand j’écoute l’album HIStory et qu’arrive cette chanson, je suis toujours très ému…

Aujourd’hui, vos photos de Michael Jackson sont mondialement connues et circulent beaucoup sur les réseaux sociaux. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

C’est un aspect très compliqué du métier car j’adore les fans et je comprends bien qu’ils se situent à des degrés divers dans leur sentiment d’être légataires de l’héritage de Michael. Mais s’approprier une image que j’ai créée et la reproduire sans permission, sans me donner aucun crédit ni aucune rétribution, ce n’est tout simplement pas correct. Je pense que c’est quelque chose qui est regrettable dans notre culture contemporaine : les gens n’ont pas de respect et copient des images ou des œuvres d’art. Ils ne se rendent pas compte que ça blesse l’artiste qui a créé l’œuvre en question. Ce que j’ai constaté, c’est qu’en général, les reproductions ne sont pas de très bonne qualité. Puis, d’autres personnes les reproduisent de nouveau et ainsi de suite, ce qui détruit leur valeur artistique en quelque sorte. Non, mais, attendez une seconde ! C’est mon travail que vous publiez et il n’est pas aussi beau que lorsque je l’ai créé. Cela m’attriste et me frustre parce que je ne peux pas y faire grand-chose. Je ne vais pas passer ma vie à envoyer des avocats pour traquer les gens parce que cela ne m’apportera rien. Je voudrais que les fans comprennent que la photo qu’ils reproduisent a été prise par quelqu’un et qu’ils pourraient au moins lui en accorder le crédit. En fait, ils devraient respecter cette œuvre suffisamment pour dire : « Ceci n’est pas ma propriété. Je n’en possède pas les droits. »

Quel est votre point de vue sur cette période HIStory vécue avec Michael Jackson ? Comment considérez-vous cette période de sa carrière et de sa vie ?

Evidemment, c’est la période à laquelle j’ai travaillé comme photographe de Michael et si je remets les choses dans leur contexte, j’ai passé beaucoup de temps à cette époque à me dire « Pincez-moi, je rêve ! », vous savez. Aujourd’hui encore, quand je rencontre des gens, je ne souhaite pas qu’ils sachent que j’ai travaillé avec Michael, en tout cas pas avant qu’on se connaisse depuis un moment. Si les gens l’apprennent avant de me connaître, ils se font une idée préconçue de qui je suis et de mes intentions professionnelles. Et je ne pense pas correspondre à ce que beaucoup de gens croient savoir de moi. Je me vois comme un gars qui a grandi dans une petite ville du Michigan et à qui rien de très excitant n’était censé arriver. Je ne sais pas comment j’ai pu être assez chanceux pour vivre les choses que j’ai vécues mais je ne prends rien pour acquis. J’en suis toujours aussi ébahi et je pense que c’est vraiment très agréable et que j’ai énormément de chance !

En ce qui concerne cette période de la carrière de Michael, c’était vraiment un moment particulier. Je pense que les vidéos et la musique qu’il créait à l’époque étaient extraordinaires et incroyables ! Il me semble qu’il commençait tout juste à prendre conscience de lui-même et de son héritage. Je vais vous raconter une histoire pour illustrer mon propos. Au moment de la finalisation de l’album HIStory, j’étais à New York et Michael m’a appelé pour me demander de venir à son appartement. Quand je suis arrivé, il était avec Dan Beck, l’un des vice-présidents d’Epic Records que je connaissais bien pour l’avoir déjà rencontré plusieurs fois. Nous étions donc tous les trois dans l’appartement de Michael pour sélectionner des images pour la version finale du livret de l’album HIStory. Nous avons commencé à parler de la vidéo de Thriller et Michael a dit : « Steve, parmi toutes ces photos issues du clip, lesquelles pense-tu que je devrais mettre dans le livret ? » Devant moi se trouvait tout un tas de clichés de Thriller datant de bien avant que je travaille avec Michael mais il me faisait confiance, à moi et mon œil de photographe, pour sélectionner les bonnes images. Je les ai toutes parcourues et regardées attentivement avant de déclarer : « Ok, Michael, prenons celle-ci, celle-là… » et ce sont les images qui figurent désormais dans le livret. Mon nom n’est pas crédité pour cette sélection mais je suis honoré que Michael m’ait fait suffisamment confiance pour dire : « Qu’est-ce que tu en penses ? » Cela a beaucoup de valeur à mes yeux !…

Il y a une question qu’on ne pose jamais mais qui me semble importante à poser à toutes les personés sérieuses ayant travaillé avec Michael. C’est celle-ci : « Qu’est-ce que l’héritage de Michael représente pour vous ? Dans quelle mesure s’inscrit-il dans ce que vous faites aujourd’hui ? » On regarde encore le travail de Michel-Ange de nos jours en réfléchissant à ce qu’il avait en tête en peignant ou ou créant une sculpture, et il me semble que dans des centaines d’années, avec un peu de chance, les gens regarderont le travail de Michael en se demandant : « Qu’y avait-il de si remarquable chez cet artiste qui rendait ce qu’il créait si extraordinaire ? » Peut-être même qu’une ou deux photos que j’ai faites de lui survivront au temps… Et je me demande : « Comment est-ce que la vie de Michael et le travail que j’ai réalisé avec lui me touchent et de quelle manière tout cela m’influence ? »

Je me suis rendu compte que jamais Michael n’avait été désagréable devant moi et que je ne l’avais jamais entendu parler en mal de quelqu’un. Il était en colère quand les gens le blessaient mais il ne contre-attaquait jamais de manière personnelle. Cela m’a toujours impressionné… D’autre part, en ce qui concerne les origines ou la religion, Michael a été un exemple pour moi dans sa façon d’aimer et d’accepter tout le monde. Ce n’est pas la seule chose qui m’ait influencé mais il est évident que le travail que j’ai fait avec Michael, sur des plateaux ou des projets sur lesquels travaillaient des gens de toutes les nations, toutes les origines, toutes les orientations sexuelles, c’était pour rassembler les gens, pas les opposer dans leurs différences. Cela a eu une énorme influence sur moi !

Quand je rencontre des gens et qu’ils se rendent compte que j’ai travaillé pour Michael, ils m’estiment pour ça et j’essaie d’être à la hauteur de ce qu’ils pensent. Je ne veux pas que les gens aient des pensées négatives au sujet de Michael mais en même temps, Michael était un être humain. Il n’était pas parfait, il a commis des erreurs, mais même aux pires moments de sa vie, il a toujours été gentil, et très, très respectueux envers moi. Nous n’avons pas eu des tonnes de conversations mais tout de même quelques-unes au sujet de choses vraiment personnelles et je n’ai rien à dire de négatif ou de mal sur les échanges que j’ai pu avoir avec Michael.

Voilà ce qu’il m’a laissé… Trois jours avant sa disparition, nous avons appris que mon père avait un cancer. Le jour du décès de Michael, j’étais en route pour le Michigan pour voir mon père et passer les six dernières semaines de sa vie avec lui… La mort de Michael et celle de mon père représentent donc le même chapitre de ma vie et sont intimement liées. Le journal local de ma ville natale avait publié un article sur moi et j’ai pu le montrer à mon père sur son lit d’hôpital. C’est l’un des meilleurs moments que nous ayons partagés tous les deux… Il y a donc beaucoup de choses profondément personnelles liées à ma relation avec Michael…

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BRICE NAJAR
FRANCE

Né à Annecy en 1979, il est l'auteur de quatre ouvrages liés à l'univers musical de Michael Jackson. "Itinéraire d’un passionné" et "The Jacksons : Musicographie 1976-1989" sont parus en 2013 et 2014. Chacun de ces deux livres, bien qu'indépendant, est donc le complément idéal de l'autre. Pour son projet suivant, Brice reste dans cette même thématique musicale mais dans un concept différent. "Let's Make HIStory", paru en 2016, est un recueil d'entretiens avec des protagonistes du double album "HIStory" de 1995. En 2020, l’auteur complète son sujet avec un nouvel ouvrage intitulé "Book On The Dance Floor". Une façon de décrypter le travail en studio du Roi de la Pop.

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